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18.3.07

IV.

IV.
Et si on mettait Paris en bouteille ? oh oui, dans une belle petite fiole de gabardine,
qu’elle serve à quelque chose. J’irais chasser les pélicans et me soûler la gueule au bord
d’une veine ouverte. Les femmes dans ma gorge feraient des picotins exquis à cause des
talons hauts. Je sentirais les cils des femmes qui caressent mes amygdales et ce serait très
indécent. J’en vois qui surnagent à la ligne de flottaison, elles sont nues comme des sous
neufs. C’est beau. J’en vois aussi un certain nombre entre deux eaux, le ventre gonflé.
C’est moins beau. Tiens, un ami ! Allez hop, on est en démocratie oui ou merde, pas
d’excuses Bernard. Et lâche donc cette porte cochère, tu vois bien que ça ne flotte pas.
Mais l’ivresse me gagne et mes jambes font comme des rames de métro bondées. Le ciel
est beau comme une méduse. Je veux dire qu’il y a de l’orage et qu’il est grand temps
pour moi de regagner mes quartiers. Je serais ce docteur ivre qui voit les choses telles
qu’elles ne sont pas, telles qu’elles rêvent peut-être d’être mais telles qu’elles ne sont pas.
A nos yeux du reste. Les portes ont des découpes de cercueil, à chaque fois qu’on pénètre
dans une pièce c’est pour y trouver une sorte de mort qui n’est rien d’autre que la
conscience accrue du passage et du temps. Il fait bon dans cet appartement que j’aime
comme s’il m’avait engendré. J’ai remplacé tous les miroirs par des fenêtres. Ca m’a
coûté cher en isolants. Il y a cette italienne blonde et fellinienne dans la chambre qui va
vouloir sortir étaler son sex-appeal aux yeux des hommes. Un jour sur deux elle fond en
larmes devant d’anciennes photos d’elle. L’autre jour elle finit chez un homme et ça n’est
jamais moi. Il me reste un fond de fiole mais bientôt, plus rien. Va falloir que je descende
au bar des Quatre Vents et ce soir, le vent tourne. Une vraie girouette. En sortant de la
pièce elle se jette sur moi. La garce. Elle pleure encore. Il y a ses ongles qui me rentrent
dans la chair et c’est à ça que je devine qu’ils sont vrais. Elle me dit : chéri, chéri, sortons
ce soir j’étouffe. Je balance les clefs de voiture sur la table basse et comme elle est en
verre ça fait un boucan qui m’évite de gueuler. Je dénoue ma cravate, énervé, parce que
j’ai eu une journée sacrément longue et que ma fiole est vide. Elle a les yeux rouges la
garce. Elle renifle comme une laie en rut. Elle en a encore pris la garce. Elle s’ennuie à
mourir dans la vie. Elle m’ennuie pas mal aussi. Je passe dans la chambre et m’allonge.
Dans l’encadrement losangé de la porte elle se tient. Elle me dit : dis, on va où ce soir, on
va où ? Sa voix est tendue comme un crin d’archer à cran. Je lui réponds que mon
imagination à des limites. Elle se jette sur le lit à côté de moi et elle dit qu’elle voudrait
revoir la lumière de Rome en hiver, qu’elle est lasse, elle répète qu’elle est lasse de sa vie
qu’elle trouve con. Je lui dis que c’est con de trouver que sa vie est con. J’ai la tête qui
tourne. Y avait quoi dans cette fiole ? Elle dit qu’elle en a marre d’être mariée, que ça ne
rime à rien. Je n’ai plus envie de parler. La chasse m’a épuisé. Je ne suis pas d’un naturel
très patient. Elle dit que c’est ma faute, que j’aurais jamais dû aller la voir, que j’aurais
jamais dû. Elle dit que c’est moi qui ai commencé. Que cette guéguerre, ça lui use les
nerfs. Je lui réponds : ça, chérie, c’est la drogue. Elle me dit que je ne connais rien à la
vie parce que je ne connais rien à l’ennui. Oh comme tu te trompes, pensais-je. Ce soir
elle prendrait la voiture et finirait sous un camion.

Matthieu Gredain

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