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18.3.07

Le Petit Rêveur Joue de la Batterie

Before you go
Do me a favor
Give me a number
Of a girl almost like you
With legs almost like you
I'm buried deep in mass production
You're not nothing new
I like to drive along the freeways
See the smokestacks belching
Breasts turn brown
So warm and so brown
(Iggy Pop)

CHAPITRE PREMIER

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Les oiseaux dansaient sur le toit, il y a encore une minute, comme des femmes enchantées au bal du village. Le ciel vertical est d’un bleu clair limpide, paisiblement présent. Les oiseaux sont partis le rejoindre – alors que la nuit semble pousser ses premiers cris.
Toto est indécis. Papa avait dit 19 heures; il en est maintenant 20. Faut-il appeler la police? Il se dépêche d’aller demander à Maman. Celle-ci rit, par-dessus son visage gris, et dit que Papa reviendra vite. Papa arrive quelques minutes plus tard. Papa, c’est A.B. Il a travaillé tout le jour à l’usine et vient à peine de terminer. Il est fatigué, il n’a pas envie de jouer, alors Toto va se coucher.
Mais dans la chambre, quand Toto ferme les yeux, ce qu’il voit ne lui plaît pas du tout. Voilà qu’ça recommence !, gémit t-il. Il traverse en toute vitesse la distance qui le sépare de la porte. Puis s’arrête quelques secondes. Il doit aller voir Maman pour lui expliquer ce qui vient d’arriver, pour qu’elle le prenne dans ses bras et lui dise : « Je t’aime mon Toto ». Mais… Maman est une femme! Alors c’est décidé, mieux vaut aller expliquer tout ça à Papa. Il va se fâcher, mais il le faut.
Quand la porte s’ouvre, ses yeux tombent nez-à-nez sur quantités d’images : affiches aux dos de métros filant, s’enlisant dans la nuit –Du Javel qui emmêle, fustige les couleurs / Des crocs. Un poing qui cogne. / Un visage encagé dans l’objectif / Du rouge. Toto pense au ciel de tout à l’heure : il veut qu’il revienne et le prenne sur son dos pour qu’ils partent ensemble.

CHAPITRE 2

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A.B. bouge, s’exerce. Le rythme il l’a dans le sang. Et il connaît les pas. Il n’a jamais eu à les apprendre. Il les a toujours sus. Instinctivement. C’est son show! C’est son œuvre! Il saute haut dans l’air. Il bougeotte. Regarde la batterie. Claque sur la putain de batterie ! La fait hurler sur l’autre. Ouais balance tout ça à la pétasse ! Qui peut rivaliser !? Hein qui PEUT? La pétasse s’écrie. Salope t’as pas compris ou quoi !? T’as pas compris ton rôle!? C’est moi qui chauffe ici ! La salope pleure, hurle. Elle veut lui voler son show ? Elle veut lui voler son show! Il claque la batt’ encore plus fort ! Dans ta gueule ! J’ai dis dans ta gueule ! Quoi ? Quoi ? Qu’est-ce qu’il entend ? Des clics de souris ? Essaie t-elle de s’échapper ? Mais le lien ne fonctionne pas ! Il l’a mis à mort le lien ! Crève ! Crève !
La pétasse est maintenant effondrée sur le sol, en sang. Il s’assoit sur le fauteuil et l’observe. Puis détourne le regard et se met à sourire. Un sourire de joie, de paix intérieure. Il se sent bien. Comme s’il venait d’éjaculer. Puis il rit, il rit très fort. Il voit Toto qui le regarde. Mais Toto n’a pas encore l’âge d’éjaculer. Il sait pas ce que c’est. Il saura !

CHAPITRE 3

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Toto est toujours entrain de le fixer. Qu’est-ce qu’il lui veut !? Soudain, il comprend. « Toto t’as vu des choses encore? », demande t-il. Toto ne répond pas. Il regarde le corps sur le sol. « Toto je t’ai posé une question ! T’as vu ce qu’on a dit qu’il faut pas voir !? ». Toto tourne la tête vers son père. Il le regarde bien dans les yeux. La marionnette orange du noir fusionne avec son père et ils ne font plus qu’un. A.B. comprend immédiatement : Toto est entrain de voir des choses. Les yeux de Toto sont changés, reflètent des choses étranges. « Toto je t’ai dit de ne plus voir ! De ne plus rien voir! », s’écrie A.B alors qu’il se jette à toute vitesse sur Toto.


CHAPITRE 4

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A.B marche dans la rue. Il vient de finir le boulot et s’apprête à rentrer. C’est l’anniversaire de sa femme aujourd’hui. Que va t-il lui offrir ? Il veut sélectionner la voiture garée là-bas, devant ses yeux, la copier et la coller dans son garage pour que sa femme lui fasse un grand sourire et lui dise « t’es un mec toi! ». Mais il n’y a pas de garage chez lui. Dans son monde. Son monde de merde !... Sa femme… femme multipliée… femme de milliers ! Et son Toto qui voit des choses alors qu’on a dit qu’il faut rien voir ! RIEN ! Interdit !
Non il lui faut un autre cadeau. Quelque chose qu’il peut lui offrir.
Ah qu’il aurait voulu revoir tout ça. Rectifier les détails. Retoucher la vie. Changer le zoom aussi. Rétrécir ce qui prend trop de place –Agrandir l’horizon. Taper une nouvelle adresse dans le navigateur. Se poser sur une nouvelle toile. Changer de sphère.
Car oui, il aurait aimé être un de ces intellectuels, de ces écrivains, de ces grands hommes qui nous servent leurs pensées à longueur de journée comme l’on sert le thé tiédasse aux vieux gens fatigués, aux bouches devenues trop sensibles, trop fades, pour accepter l’irruption, le bouillonnement. Oui ce monde lui aurait plu. C’est celui qui encule qui jouit le plus fort.
Mais parfois il se dit qu’au fond, la beauté est fragile et éphémère. Alors à quoi bon la chercher ? Mieux vaut rester comme tel, accepter ce qu’on a bien voulu nous donner.
Non attendez ! Attendez ! Il regrette ! Il… il veut être beau ! Pour un jour, pour une nuit –un instant. Il veut être beau. Pour qu’enfin, on le voit. Il est là ! Il est là ! Regardez-le ! Il est beau maintenant ! Il est beau… il est beau… il veut être beau… il veut être beau…
Un son de rock phat, fumeux, colossal, précis clair et direct, rampait sauvagement dans le goudron et cognait ses semelles de chaussure. A.B. a vu des mers mystérieuses partir pour revenir, des cieux d’Azur concocter des choses bizarres, puis laisser descendre la pluie, la tempête. Il sait que les cieux sont beaucoup trop grands, beaucoup trop hauts, beaucoup trop bleus. Il ne sent que trop fort leur poids énorme. Il rencontre aussi les soleils plus tôt dans la journée, à l’usine, dans l’enfer des tranchées. Il sait leur monstruosité. Et se pose souvent la question, sa question à lui: pourquoi tous les jours la même chose ?
Alors qu’il avance, il veut écrire ce qu’il cherche dans le champ à remplir du logiciel et cliquer sur Entrer, pour trouver ça vite ! Mais il n’en a pas vraiment besoin; ce soir, il n’a qu’à se laisser attirer, diriger par la lumière qui l’appelle, qui a pensé à lui, la gentille infirmière : il va vers les sexes saignants. Les sexes coulant, pataugeant dans les rues qui cognent, car enfermées dans une boîte. Des sexes grands ouverts, profonds, asphyxiants –imposants car posés là; des allées sombres qu’il vaut mieux prendre, avant que l’ombre…
Il s’emprisonne dans le murmure. Les silences sont intolérables. Il a besoin de drogue. Il en a vachement besoin. Il veut libérer son cœur, embellir son regard. Voix, vocifère ! Que je me libère…
Les sexes saignants sont fluides : en eux le temps nous laisse s’en aller. Il alla les chercher.
Dans la rue, quelques passants voient un homme à la démarche incertaine, roulant comme une bille solitaire jetée à la tempête, s’engouffrer dans un bar.

CHAPITRE 5

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Elle voit ce chien de mari lui lécher le visage. Elle se veut morte. Le sang coule à nouveau hors d’elle, suit tranquillement son chemin cruel.
A.B. ne comprend pas. N’est-ce pas nécessaire ? Le sang, comme l’œuf dans une pâte au four, ne relie t-il pas les éléments ? Ne leur donne t-il pas un éclat, un sens, une chance de vie ?
A.B. avait été violent ce soir, dès son retour du bar. A peine arrivé, il a cherché parmi villes assiégées et villages ravagés, sa batterie. Il en a besoin. Il lui faut claquer sur la bête pour faire monter la température. Alors il a claqué, claqué, claqué encore et encore… Il aime beaucoup ça. C’est ça son boulot au fond, le sens de sa présence, il est l’artiste de son art. Le meilleur. Quand il claque, il vole. Quand il vole, toutes les ombres se faufilent dans leurs longs fils pour se cacher.

CHAPITRE 6

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Toto est couché. Dehors, le ciel est noir, mais calme, proche de Toto. Le vent tape gentiment à sa fenêtre, comme un doux présage. Toto connaît les ondes. Quand il les entend venir à lui, il se rapproche automatiquement d’elles et les décodent. Ainsi, il se lève de son lit et marche lentement vers la chambre de Papa et Maman. En route il aperçoit Maman qui regarde la télé au salon. Son visage est blessé mais elle lui fait un grand, un très grand sourire, vaste comme la mer en vacances, la mer qui accueille ceux qui sont heureux, ceux qui veulent bien qu’elle respire jusque dans leurs corps. Il continue son chemin vers l’autre chambre. Quand il ouvre la porte, il voit Papa. Papa est suspendu en l’air. Papa a un tissu autour du cou.

FIN

Kebina

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