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5.4.07

La tête nue, à peines levées.

« Regardes ma poitrine elle est petite, tu ne trouves pas ? ». Elle m’avait dit cela.
D’une voix à la faiblesse insoutenable ; de celle que l’on voudrait faire taire pour ne pas être celui qui aura assisté aux derniers souffles à peine humides.
De lèvres tout autant effrayantes ; même sans peinture elles paraissaient d’un rouge écarlate sur son teint hâve d’avoir trop jeûné, de s’être trop fait vomir.
Elle m’avait dit cela en pointant ses seins en ma direction.
Le regard fixe sur des amas de graisse atrophiés, une seule réponse me donnait envie de tarir mes poumons d’air :

- Je pourrais te parler durant des heures. T’expliquer ton corps. Te dire que je veille à ce que tu ne parviennes pas à te nier suffisamment bien pour disparaître. Mais tu sais quoi ? Je préfère user ma salive à te la lécher cette poitrine, aussi petite soit-elle.

Je ne crois pas que ma réponse avait fait émerger en elle un semblant de lucidité. La douleur en bandoulière, elle avait immédiatement poursuivi sa trajectoire idiote :

-Et mes trop larges cuisses, tu les supportes toi ? Tu les trouves comment?

J’avais sciemment opté pour la carte « perversité sexuelle ». Lui faire croire que malgré ce corps émacié je l’aimais au point de la désirer. D’un œil faussement vicieux je lui avais répondu :

- Tes cuisses ? Probablement indispensables parce qu’elles savent encore te mener jusqu’à moi. Qu’elles me ramènent leur commissure sombre et ça me va.

Ses mollets. Ses fesses. Son ventre (la partie la plus délicate peut-être : terrain miné de bourrelets invisibles). Ses joues. Ses bras…
Mine de rien, nue, elle venait de réviser son anatomie. Comme avant dans nos cours de sciences naturelles où les corps décharnés faisaient plus rire que peur.
Elle ne paraissait toujours pas tenir compte de mes savantes réponses. Elle préférait pleurer.
Pleurer sans se cacher de moi. Ni d’elle-même d’ailleurs.
Des larmes en effusion qu’elle n’avait à aucun instant tenté de contenir. Pas de place au théâtre lorsque l’on s’occupe à survivre.
Ce liquide salé en plein visage la démangeait et même qu’à trop frotter elle aurait pu s’égratigner les joues.
Elle était planté là, nue, face au miroir à se regarder par-dessus ses yeux brouillés, à se fondre dans la froideur du verre.
Je pouvais entendre les dédales de ses pensées. Je m’ y perds rarement. Je connais les contours de ses faiblesses comme si je les avais créé de mes propres réflexions.
Se mettre nue pour mieux constater les dégâts de mère nature. Un corps entièrement gros.
Un large pantalon, un large pull, un large manteau. Une large dissimulation. Circulez y a rien à voir !
Une grosseur extrême qu’elle s’invente comme un gosse s’inventerait un ami imaginaire. Toujours à ses cotés et personne ne la voit mise à part elle.
Sont corps est atrocement gros, et non d’une périlleuse maigreur. Lui dire le contraire, c’est peine perdue.
Des mois étaient passé sans que je ne lui dise rien.
Et puis ce jour là, sans que je m’y attende vraiment, après son défilé de questions improbables, elle avait fini par me confier une chose.
Je suppose qu’elle non plus ne s’attendait à rien. Jusque là, elle caser tout dans la rubrique « C’est comme cela et puis c’est tout, je ne sais pas moi ! ».
Pas cette fois.
Elle s’était approché de moi pour me verser à l’oreille ce que je pense être un avant goût d’explication. Comme si au plus prés de moi personne d’autre ne risquait d’entendre.
Elle savait pourtant que nous étions seuls dans cette chambre. Il y avait bien notre chat, mais elle comme moi savons que cet amas de poils sur pattes s’en fout pas mal de son existence malhabile.
Probablement qu’elle susurrait ses confessions pour moins les faire exister.
Ne pas trop attiser les fantômes, ceux d’un passé qui cogne plus qu’il n’effleure le cours d’une vie.
Reconstruite sur des ruines, c’est toujours fébrile une vie parait-il.
J’ignore où elle avait puisé le souffle suffisant pour expulser le tout.
« Allez, c‘est bon pour aujourd’hui», c’est ce que j’avais voulu lui dire à plusieurs reprises. Jamais fait.
Je sentais une régurgitation pour une fois salvatrice, bien loin de celle qu’elle savait provoquer les mains en bouche pour maigrir à en crever.
Tout aussi Immonde cette vomissure verbale :

- Tu sais, moi je ne m’en souviens pas vraiment. Ce n’est pas mon souvenir.
C’est la mère d’une amie d’enfance qui me remémore cette anecdote.
Chaque fois que j’ai le malheur d’aller dîner chez elle, elle me ressert cette même histoire de phrase prononcée.
Elle me répète sans cesse, comme si j’allai oublier, à quel point j’étais une enfant triste.
Des amies j’en avais, beaucoup même. Un nombre que tes doigts ne te permettent plus d’afficher.
Dés cinq ans, j’allais seule à l’école. Sans regrets ni craintes. Sûrement que je savais déjà.
Je savais que dans cette petite vie pour subir il valait mieux être le plus seul possible.
Etre tranquille à ne faire pitié à personne, à ne pas devoir garder la face, celle que l’on voudrait voir éclater contre un mur. A ne rien leur imposer aussi.
Sur la route, ce n’était pas des petits cailloux blancs que je jetais. Retrouver le chemin de ma maison ou le perdre, j’avais inconsciemment fais mon choix.
C’était cette phrase que je laissais à la terre propre :

« Ma mère des fois elle est méchante comme les loups. »

Probablement que cette phrase que je répétais à m’en faire mal aux lèvres, était une sorte d’appel à l’aide. Emprisonnée dans une vie de petite fille aux allures un peu tristes mais qui ne manque de rien. La timidité c’est comme l’ivresse, elle a souvent bon dos.
Pas de formulation claire. Il aurait fallu qu’une personne capte le message au-delà de pleines explications, preuve indéniable qu’elle pourrait m’aider me comprenant déjà.
Enfin là j’analyse. À épuiser toutes les façons de percevoir la chose, je n’imagine que celle-ci.

Moi, qui aspirais à détendre l’air d’un passé suffocant :

- J’ignorais que ta mère t’avait fait du mal dans ton enfance. Tu ne m’avais jamais parlé de tout ça. Tu penseras tout de même à me remémorer ce fait.
Juste entre la phrase qui dira « Nous allons séjourner chez ma mère » et celle qui répondra « Non vraiment je ne veux pas séjourner chez ta mère ».
A la campagne, à me demander où sont vraiment les vaches, si tu vois ce que je veux dire ?
Mais bon, je ne vois pas le rapport avec tout ce qui t’arrive depuis des mois.

Elle :

- Tu me fais rire ! Cela ne se voit pas mais tu me fais rire.
Du mal, si on veut…
Autant que je puisse racler les fonds de ma mémoire, je crois que je n’ai jamais été suffisamment bien pour elle.
Elle voulait que je sois belle. Elle avait toujours rêvé d’avoir une fille belle. Elle l’était elle-même alors je peux comprendre.

« A la naissance il y a dû avoir maldonne ».

Cette phrase, sortant de sa propre bouche écoeurante, je l’avais entendu pour la première fois vers l’âge de neuf ans.
Je me souviens avoir étais dans nôtre bibliothèque qui paraissait immense de mes yeux d’enfants. Un dictionnaire, ça dit la vérité.

« Maldonne : n.fém : erreur dans la distribution des cartes ».

Cette définition, aussi vague et éloignée du sujet soit elle, était venu mordre ma tête de fillette.
Comme si depuis le début j’avais saisi le sens de cette phrase, ce leitmotiv que ma mère prononçait d’une discrétion malsaine à mon sujet.
La révéler dans sa littérale exactitude n’était qu’un détail. Je savais déjà tout.
Et ce tout j’avais du mal à me l’enfoncer dans les espoirs.
Je savais que j’étais trop grosse selon elle, « normale » selon ma courbe de croissance pourtant bien gravée dans mon carnet de santé.
J’allais parfois vérifier dans ce carnet. Être bien certaine, ne pas m’être trompé de courbe.
Je demandais aussi à mes copines de classe leurs poids, histoire de comparer.
Je m’étais vite résigné en me disant que ma mère avait ses propres exigences, qu’il n’y avait rien à démentir, rien à comprendre.
Et puis l’abîme déjà amorcée que pouvais-je bien faire ?
Elle scrutait tous les concours de beauté pour enfant, les castings d’acteurs, de mannequins. Elle m’achetait des tas de robes que j’aimais à peine.
Vu que la vie avait décidé d’enfoncer le clou dans ma chair d’enfant, j’allais d’échecs en échecs. SES échecs. Moi je n’étais jamais déçue de perdre ses concours. J’espérais que de cette manière elle allait se rendre.
Mais tu sais, tout ça je m’en foutais pas mal, comme le reste qui aurait pu me percer mais qui effleurait à peine mes émotions.
Ne pas manger ce que je désirais comme une enfant de mon âge c’était du gâteau si j’ose dire. Supporter ses phrases assassines, je savais faire.
J’étais assez téméraire comme enfant en faite.
Ce qui embrasait ma peine d’enfant c’était ma culpabilité. Je voulais qu’elle l’ait sa jolie fille.
Première partie du travail accomplie sans aucun apport personnel : j’étais sa fille.
Etre belle désormais, minutieusement longiligne comme notion première. Plus dure. Je n’avais même pas le sentiment d’être trop grosse.
Alors évidement, je crois que jamais je ne suis parvenu à atteindre ses idéaux à la perte.
Fossoyeuse d’équilibre mental qu’elle était, elle semblait ne rien regretter. Je la soupçonnais parfois d’extraire une jouissance de tout cela.
Elle m’abandonnait aux concours de beauté en sachant que j’y allais à reculons, que j’y perdrai plus que les récompenses, mon bien être.
Pourtant, je n’ai jamais su lui en vouloir, juste l’aimer.

Et puis les années ont passé avec ce goût âcre de déception infligée à ma mère.
Je suis parti faire ma vie sans trop traîner de poids. Il fallait bien que je grandisse. Penser à panser les plaies.
Toi, en amant figé sur mon corps qui te plaisait, je ne pouvais qu’être bien.
Les choses ne sont pas pour toujours.

Depuis de longues minutes, tu m’écoutes placide. Je vois ton visage. Tu attends comme un chien la gueule sèche. De mon passé comprendre ce corps encombrant.
Mais le problème n’est peut-être pas là. Et puis on s’en fout parce que la solution non plus de toute façon.
Je ne sais toujours pas pourquoi depuis quelques mois je suis là, à dégueuler toute ma peine d’un passé qui remonte malgré moi.
Dans les chiottes, les doigts enfoncés dans le fond de la gorge. Effleurer mes amygdales, leur trouver un touché immonde.
C’est sûrement parce que je sais que mon corps est gros. Cette fois il l’est pour de bon. Je le vois. Je ne suis pas à 35 kilos.
Il ne faut pas faire confiance aux machines électroniques qui te disent soit disant combien pèse ta douleur.
Je suis sacrément trop grosse. Ne me dis pas le contraire, c’est peine perdue.

Moi :

-Je ne te dis pas le contraire si tu veux.

Mais laisse moi perdre ma peine.

Des yeux gênés sur moi. Un regard que je voulais fuir pour ne pas avoir à lui faire
trop mal. Un regard semblable à celui d’un enfant perdu dans le noir, les bras tendus vers un infini vide qu’une confession venait d’ébrécher.
En geste réflexe, elle s’était empressé de cacher son corps nu sous un tas de couvertures.
Sous un parfait silence, cacher ses douleurs passées, jaillissantes pour la première fois.

Jamais elle ne s’était senti aussi nue je crois.

Sonia Moussaoui

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