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25.5.07

Les Réparacoeurs

Les réparacoeurs, c'est rare parce qu' être réparacoeur est un métier bien dur.
C'est un peu comme réparer une horloge mais en plus compliqué.
Faut trouver les rouages qui s'assemblent correctement et si par malheur on se trompe on doit tout recommencer.

Imaginez, après des heures de travail, à recoller ça et là, à bricoler, à rapiecer, voilà que Oh malheur! vous avez mis le souvenir de son ancien amoureux juste à côté du souvenir de ce qu'elle a mangé à midi, bah là paf non seulement il y a risque d'indigestion mais en plus badaboum le coeur (re)explose en miette!

Tout ce travail acharné, toute cette reconstruction pour rien. Juste à cause d'un souvenir. Il faut donc être très soigneux et surtout patient!

Parce que parfois c'est long. Il y a tellement de petits morceaux éparpillés dans la cage thoracique qu'il ne faut surtout pas oublier ne serait est ce qu'un seul et après il faut tout recoudre à la main, et ça picote, parfois on peut entendre la personne faire des aie aie ou bien déverser une grande quantité d'eau (n'oubliez pas votre parapluie!). Des fois il faut des années.

Certains réparacoeurs abandonnent mais dans ce cas ce n'était pas des vrais, au pire même, ils n'étaient là que pour faire mumuse, parce que c'est marrant de voir l'humain se tordre de douleur quand on serre bien fort les morceaux de coeur...

Ca arrive plus souvent qu'on ne le croit, mais ne vous inquietez pas, ils sont séverement puni! C'est quand même dommage que ce métier soit souillé par quelques imbéciles...! Parce qu'en vrai un réparacoeur c'est merveilleux.

Ca ne demande rien en échange. Voir un coeur battre lui suffit. Il sait que c'est précieux. Il aiment les faire rire un peu et les chatouiller quand il passe la colle sur les bords. Il aime le son different de chaque coeur.

Il apprécie les forts, s'attendri devant ceux qui tambourinent à chaque émotion et aime protéger ceux qui peine à avancer. Ces mains sont douces et abiles. Avoir le coeur carresser par un réparacoeur est une sensation très agréable. On a l'impression que notre coeur est le plus precieux au monde.

Mais pour le réparacoeur il l'est.

Parfois, quand il s'éprend d'un coeur il reste avec lui toute la vie. Il se reveille et s'endort en l'écoutant battre.

Il guette tout cognements anormaux et lui dit des mots d'amour à chaque fois que le coeur se sent rabougri.

Avoir un réparacoeur est une chose merveilleuse et unique. Parfois je pleure.

Quand ils quittent un coeur. Mais aussi quand je vois un coeur qui souffre et un réparacoeur qui tarde à venir.

J'aimerais tant qu'ils soit tous heureux.

Tout ces coeurs malmenés.

Fée-Brile

Pour contacter Fée-brile ou un autre auteur de la revue : revuenoiretblanc@hotmail.com ou laissez un commentaire .

D'un bistrot à l'autre.

On ne sait jamais ce qu'on est venu faire dans un débit de boissons, quel qu'il soit.
Enfin, pour être plus précis, on sait toujours ce qu'on est venu y faire, certes, parce que c'est souvent annoncé en devanture : on est venu y boire, donc.
On sait aussi toujours ce qu'on est venu y chercher, même si on ne se l'est pas toujours distinctement susurré dans l'oreille interne au moment où on y a plongé le premier pied.
En réalité, ce qu'on ne sait jamais, jamais ou presque, ce n'est pas ce qu'on est venu y faire, ni venu y chercher, mais ce qu'on y fout, finalement.
Ce qui fait qu'on est là, plutôt qu'ailleurs, en un ailleurs entre les murs duquel quelqu'un nous attend peut-être de pied ferme, quelqu'un d'autre ou alors simplement un autre nous-même, un nous-même que nous pourrions être (ou faire semblant d'être) si nous n'étions pas là - chez nous, donc, ou bien à la salle de sport, à un vernissage, au lavomatic, sur notre lieu de travail, dans la belle-famille, au supermarché... ou bien, encore, et ne l'oublions jamais, dans un autre bar.

Ce qu'on y fait, au sens "activité physique", voire "activité sociale" du terme, c'est bon, je l'ai déjà précisé - d'autant plus que ça tombe sous le sens : on y picole, seul ou à entouré de prétextes souriants.

Mais c'est en interrogeant finalement, et avec un tant soit peu de bonne foi, ce qu'on est venu y chercher que deux révélations nous sautent immédiatement au yeux, sinon à la gorge : premièrement, le bar X n'offre pas la même chose, en sus de la boisson proprement dite, que le bar Y ; deuxièmement, ce qu'on est venu y chercher nous renseigne presque toujours, et instantanément, sur la raison essentielle pour laquelle on est là.Qu'ont donc à offrir les différents types de bar, et, par extension, que vient-on y chercher ? Un bar n'est pas le bar voisin. Pourquoi ?

Ce soir, je suis debout, seul, au zinc du Commerce : pas d'happy hour ici ("une "happy quoi ?" - ça va pas ou bien ? on n'est pas des Ricains.") ; MTV ou une chaîne de sport extrême tourne en boucle sur l'écran, son de la télévision coupée sauf quand El Presidente prend (encore ?!) la parole ; trois journaux salis par des milliards de mains se reposent enfin sur la pompe à bière ; un ramequin entâmé d'olives avec noyaux dépérit devant moi, tandis que la chair flasque des fesses de la patronne gît, glissée en portefeuille, sur le revêtement skaï du tabouret planté dans le coin-tabac.
C'est l'heure de la sortie des bureaux, la seule heure du jour qui rassemble autour d'un godet les alcooliques bon-teint-car-pères-de-famille, les professeurs dépressifs, les chômeurs immigrés et les loosers magnifiques. Un peu d'animation, personne ne veut embêter personne, tout le monde a ses secrets : un lieu vivant sans être intrusif, trop de douleurs existentielles cumulées pour faciliter l'échange, trop de peines refoulées, aussi, pour empêcher qui que ce soit de sourire - voilà ce que je suis venu chercher ici.

Hier soir, tard, je siégeais, entourée d'une flopée de connaissances (dont certaines que je ne connaissais pas du tout, il faut bien le reconnaître), dans l'arrière-salle d'un bar-boîte à la musique assourdissante, peuplé de touristes en goguette, de fêtards au nez plein, de jeunes adultes fugueuses et de pré-trentenaires les yeux gorgés de foutre. Des cigarettes et des briquets en veux-tu-en-voilà, vomis sur les tables comme des espoirs de touches furtives et de moiteurs partagées exhibés aux démons. Beaucoup trop bruyant pour qu'une seule discussion collective ne s'engage, bien trop cacophonique pour qu'il ne faille pas se pencher à l'oreille de quelqu'un pour lui dire quelque chose - glace brisée en deux secondes, ciblage immédiat, il n'y a plus, ensuite, qu'à marcher un peu sur les pattes avant en tortillant subtilement du bas-ventre pour obtenir une réponse immédiate et décisive. Voilà ce que j'étais venu chercher ici.

La veille, plus tôt dans la soirée, je partageais un drink dans un bar à cocktails cosy avec quelqu'un que je ne voulais pas effrayer de prime abord. La musique était branchée, et bien présente certes, mais en arrière-fond. Un truc latino, ou du reggae un peu vif, ou bien un song-writer plus ou moins magnifique. Peu importe. Les tables se tenaient à une distance respectable les unes des autres, de gros canapés ou des sofas criards les encerclaient toutes, de frêles bougies en magnifiaient le faux bois. Les tables voisines ne pouvaient rien entendre de nos tractations intimistes, chaque espace convivial ayant été pensé comme une bulle - à peine si les serveurs et serveuses se hissaient au niveau d'ingérence de spectres quelconques. De quoi jouer à plein régime l'esthétique de la bulle, le jeu mensonger de la bulle, l'anomalie de la bulle - l'exceptionnalité de la bulle, donc. La parenthèse, donc. Nous étions différents quoique tout comme les autres, ensemble mais inconnus, uniques quoique standards. Voilà ce que j'étais venu chercher ici.

La même soirée avait pris quelques longues heures dans la tête quand je retrouvai deux collègues dans un pub. Vous savez, mais si, les pubs. Tout en bois, jusqu'aux pintes ou presque. Un gros-grand type derrière le bar, et/ou une fine barmaid blonde aux seuls seins généreux, et un voire deux bus boys qui ramènent les verres vides presque plus rapidement que vous ne les buvez - cela dit, si, si, vous les buvez bel et bien à ce rythme là, je vous promets. "Service au bar" spécifié sur des pancartes, en deux langues au moins. Du vert à foison, des verres partout, de la poésie nulle part - des tas de lombrics, en revanche, hésitant entre un concours de culs-secs, un festival de lourdeur molle et un avachissement progressif pourtant aussi inévitable que parfaitement diluable dans le reste des activités. Selon les cas, des trèfles-déco ou des drapeaux-de-rugbymen-déco ou des posters-en-anglais-déco, et toujours, toujours, un écusson Guiness illuminé en devanture. En bref, le temple de la soûlerie virile, avec même quelques filles au début, puis une poignée de folles furieuses, puis seulement une ou deux pochardes, puis exclusivement des carcasses aussi masculines qu'embuées de bière au mazout. La tête nous tourne vite, en ces lieux, aussi rapidement, d'ailleurs, qu'on cesse de la tourner à droite à gauche dans l'espoir d'y dénicher quelque pépite improbable, car de moins en moins plausible. Le royaume du "on s'en fout, on est des mecs", la lourdeur décomplexée, en attendant le mal de crâne. Voilà ce que j'étais venu essayer de récupérer ici.

Le jour d'avant, il y avait eu, aussi, le troquet convivial, ce genre de lieu où les mauvaises chaises de bois brut crissent au sol en menaçant de rendre l'âme une bonne fois pour toutes, où les verres claquent lourdement sur la table gravée au couteau depuis des lustres, où les prix stagnent au sol comme des mouches mortes, où les toilettes sentent le cadavre et exhalent la folie, où les sourires sont décochés aussi rapidement que les torgnoles, où tout le monde se mélange sans trop réfléchir, où n'importe qui peut entrer n'importe quand en faisant n'importe quoi, où hausser un soucil en guise d'étonnement constitue un crime de lèse-majesté, où un chien ne vaut pas plus qu'un homme, qui ne vaut pas plus qu'un chien. Ce genre de lieu où l'on ne sait jamais ce qui peut arriver, où l'on attend un peu d'y être surpris, mais où l'on se sent bien malgré tout même si rien ne se passe d'autre. Où l'électricité rôde dans l'air comme une promesse de résurrection, de rédemption, de délivrance, en tous ces termes religieux donc, alors qu'aucun figurant n'y croit en un dieu quelconque - en des chimères au profil de tumeurs fleuries, à la rigueur. Voilà ce que je savais que je trouverais là.

Bistrot, bar-boîte, bar à cocktails, pub, rade de quartier. Cinq visages, déjà, pour un même concept arbitrairement posé comme homogène. Et je ne rentre ni dans le détail, ni ne vise une quelconque exhaustivité.

On ne sait jamais ce qu'on fout dans un bar donné. Mais on sait toujours ce qu'on est venu y chercher.Et si on ne le trouve pas ce coup-ci, on le trouvera demain. Ces enfoirés de macs à picole sont précisément là pour ça.

F. W. Jonas

Pour contacter F.W. Jonas ou un autre auteur de la revue : revuenoiretblanc@hotmail.com ou laissez un commentaire .

Amina a New-York

Amina est une fille très cool. Son problème c’est qu’elle est tombée dans le piège de New York.
Le piège de New York c’est que cette ville hurle en permanence, à des kilomètres à la ronde, le chant des sirènes. C’est une fée brûlante et cruelle, qui fait oublier aux gens d’où ils viennent, elle aspire leurs âmes, et ils doivent lui rester fidèles alors, et lui jurer de ne plus jamais partir, aussi longtemps qu’ils ont un peu de sang frais et jeune dans les veines. Il n’y a pas de vieux ici, après cinquante ans les gens se barrent vivre ailleurs. Ou alors ils se font des cocktails jeunesse au Botox et au collagène qu’ils payent des millions de dollars, mais c’est peu cher payé pour la jeunesse éternelle…

Et cette putain de fée nous enivre, nous rend ivres d’elle, et possédés, on erre sans trop savoir ce qui nous attend, on croit qu’on vient vivre la vie, mais c’est la vie qui vient nous vivre ici, car Succube a pris possession de qui on est, en utilisant les chimères qu’on a quittées pour s’installer ici.

On oublie nos fantômes et on les remplace par d’autres, parce qu’ici c’est peuplé de fantômes, de cadavres vivants, bloqués dans un rêve qui n’existe pas. New York est le limbe de ce monde. NYC est une petite prostituée, une muse inspirante qui rend fou. New York est la pierre Philosophale. Elle est intense. Dure à digérer, violente. Charnelle. Traîtresse et menteuse. Magnifique et meurtrière. Incroyablement photogénique, et aberrante.

New York est une ville que je comparerais à une de ces petites putains dont la beauté et l’intelligence font tourner la tête de tous les hommes, si j’étais moi-même un homme. Je ne suis pas un homme, et New York reste une putain magnifique, une ‘bi-atch’ clinquante, pour laquelle n’importe quelle âme sensée se damnerait.
Imagine que ta ville soit sans cesse envahie par un million de touristes.
Imagine qu’à chaque coin de rue, on parle toutes les langues du monde, même des langues dont tu ne soupçonnais pas l’existence.

Imagine que la terre entière se soit donnée rendez-vous ici, que tout le monde vienne du monde entier et que tout le monde ait laissé tomber sa vie pour vivre ici.
Imagine qu’une odeur permanente de mort règne un peu partout, à chaque heure du jour et de la nuit, mêlée à une drôle d’odeur de vie, qui t’affame et te nourrit en même temps, sans jamais vraiment te satisfaire.
Imagine un tuyau planté dans ton crâne, qui te nourrit et t’abreuve d’idées en permanence, alors qu’un tuyau planté dans ton ventre te vide constamment de ton énergie.
Un tel endroit existe.

New. York. Fuckin’. City.

New York est pareille à ces légendes urbaines bien connues, tu n’y trouveras rien d’authentique, sauf si tu es très crédule. Tu n’y trouveras d’authentique à part la personne que NYC révèle en toi.
Tu n’y trouveras que ce que tu n’es pas venu y chercher. Tu en reviendras avec tout ce dont tu ne soupçonnais pas l’existence.
Il n’y a pas de fumée sans feu, il y a belle bien quelque chose d’insaisissable et de fascinant ici; New York est la capitale de ce monde malade, insensé, et sublime en dépit de tout.
Amina est tombée dans le piège selon moi, parce qu’elle ne fait rien de bien avec elle-même. Elle ne fait rien d’elle à part subir NYC, et je ne peux pas lui pardonner de se gâcher.
La peur n’est pas une excuse, on a tous peur, ça doit être le moteur, l’essence de nos vies, pas le fichu frein.
La vie est un putain de combat de boxe, et c’est dur, et injuste, et bien sûr que parfois on s’effondre, seuls sur nos genoux cassés et saignants, et alors, et alors?
Que ce ne soit pas un prétexte pour rater sa vie, ou pour descendre du ring, parce que le problème ce n’est pas la façon dont la vie nous traite, c’est la façon dont on décide de traiter sa vie.

Moi je suis prête à me battre. Je me bats tous les jours en fait: j’ai mes gants de boxe dans ma poche, et je n’ai pas peur de transpirer. J’ai le style, l’humour et le talent pour me battre, alors j’irai jusqu’au dernier round.
Rien d’autre ne compte.

Claire Michaud

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