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17.7.07

La Madone des Vitrines

Acte 1


Un beau gosse
Deux beaux gosses
Trois beaux gosses…

Tu les auras collectionnés, dans ta vie

Genre « Je mate mais je touche pas »
On ne sait jamais
« Tu casses, tu paies »

Ton style, c’est plutôt

Le lèche-vitrine

« Ne me regardez pas comme ça ! Je bave, c’est tout. Je fais rien de mal. J’ai de quoi payer, vous savez. Si je voulais… »

Ton problème, c’est que tu ne veux pas.
Pas assez, en tout cas.
Pas comme il faut.

Pas comme celles qui entrent, l’air décidé, sans un regard pour la petite vendeuse, montrant du doigt en baissant les paupières avec des moues bourgeoises, « Ça‍! Ça‍‍!‍ Et aussi ça ! ».
Quand on aime, enfin, quand on achète, on ne compte pas.
Leurs cartes noir et or font des éclairs dans la machine.
Elles ressortent les mains pleines, avec des étoiles dans les yeux.
Rentrent chez elles.
Ecarquillent des yeux innocents devant leur mari.
Des airs d’excuse…

Toi…

Tu as retenu tes mains.

C’est pourtant pas l’envie qui te manquait de la leur mettre au cul.

Leur cul…
Quelle merveille…
Elles te les raflent sous le nez. Les entraînent dans les cabines d’essayage. Les enfilent… Enfin, tu vois ce que je veux dire. Leurs soupirs sonnent faux, ceux des garçons aussi, tu vois quand même les rideaux s’agiter, tu fantasmes, « Moi, à leur place… »

Toi à leur place…
Rien.
Que de la gueule.
Je veux dire,
Que des yeux

Avec les yeux, tu les lèches, tu les suces, tu les avales,
Les beaux gosses
Qui défilent sans bouger dans leur vitrine,
Tellement chauds,
Tellement chers qu’ils n’ont pas de prix,
Pas d’étiquette au cul
A vendre, à louer, mais
A prix d’or,
Un prix qu’on n’affiche pas,
Un prix chic,
Le prix des beaux garçons.
Le prix de ta salive, au coin des ta bouche enflée de désir :

Le prix du désir – pas du plaisir.
Trop facile, « Je ne suis pas celle que vous croyez ».

Les vendeuses s’affairent,
Leur tournent les hanches,
Le buste,
Les tripotent.

Tu n’aimes pas les tripotages, « Très peu pour moi ! ».
Toi, ce que tu aimes, c’est…

… Cette salive qui dégouline, invisible, sur le carreau.
La salive des yeux.
L’eau du désir.
« Pas touche ! »
La Vierge des Vitrines.
Jamais un homme ne t’a touchée.
Jamais. A aucun prix.

Jamais tu n’as touché un homme.
Pour quoi faire ?
Gâcher le plaisir ?
Casser la vitre ?
Avec entre deux feuilles de verre ton reflet désirant ?
Briser le rêve ?
Le rêve des beaux faux culs, des hanches étroites, de la taille parfaite des beaux garçons.
Le rêve d’homme.

… Une fille, assez belle, l’air de rien, l’air de ne pas y toucher, passait nonchalamment d’une vitrine à l’autre, admirant les beaux hommes de cire conservés dans la glace, ces garçons qu’on essaie en cabine, qu’on emporte peut-être dans un sac élégant, sans un regard pour la petite vendeuse etc.
Pas vue, pas prise.

Acte II

« Qu’est-ce qu’elle a à me regarder comme ça, celle-là ? Elle a de la chance que je puisse pas bouger. Dis-donc, c’est pas parce que je suis obligé de montrer mon cul dans une vitrine pour gagner ma vie qu’il faut me prendre pour une pute !... Pas le droit de parler non plus, c’est le règlement, sinon je lui dirais deux mots, à cette mijaurée. Non mais, qu’est-ce que c’est que ces manières… Elle bave, littéralement… T’as jamais vu un mec de près ? Tu veux ma photo ? T’aimerais bien toucher, hein ? Mais pour ça, ma belle, il faudra allonger ton fric. Ah non… Madame n’achète pas… Madame est une reluqueuse… Demain, on rase gratis !… Revenez pour les soldes, on vous fera un prix !... Seulement, il s’agira pas de faire la difficile… Moi, ça fera longtemps que j’aurai fondu entre les doigts d’une middle-class en chaleur. Entre nous, on les appelle demi-mondaines, qu’est-ce qu’elles croient ? C’est qu’elles sont pas comme toi, elles ont pas froid aux yeux. Demande à mes copains. Ceux qui y sont déjà passés… Ah oui, j’oubliais, tu mates aussi la cabine… T’aimerais bien être à la place de la caméra… Rêve toujours… Qu’est-ce que tu veux, la patronne est pas une sainte et y a pas de petits profits. Elle vend les films sous le manteau, à des amateurs, comme on dit… Et puis j’en ai marre qu’on s’intéresse qu’à mes fesses… Moi ce que je voudrais… C’est qu’une petite pas dans ton genre vienne me voler la nuit pour me tirer de cette merde… Une petite qui penserait pas à mal… Qui m’aimerait pour moi, comme ça… Pas comme la vendeuse, qui sait pas quoi inventer pour me palucher, « Oh ? Encore de la poussière ? Pourtant j’ai passé le doigt y a pas dix minutes. Franchement… »

Acte III

Il ne vit pas les larmes qui emplissaient le bord des yeux de la jeune femme. Quand elle vint le chercher cette nuit-là, brisant la vitrine et déclenchant les sirènes, il ne la reconnut pas. Il dormait à moitié, et puis, la nuit, tous les chats… Le feu dansait dans la cheminée. Elle le posa sur les peaux de bête, sans autre intention que de continuer à l’admirer. Elle vit les premières gouttes de sueur se former sur le front du jeune homme, à la racine des cheveux noirs, puis sur les tempes, à l’intérieur des ailes du nez, au-dessus de la lèvre supérieure si sensuelle… Elle s’agenouilla, comme en prière. Son premier homme. Comment aurait-elle pu savoir ? La fonte dura jusqu’au matin.

Le lendemain, dans un groupe de badauds rassemblés devant un kiosque à journaux, une méchante femme disait « Elle n’aurait pas pu le laisser dans sa vitrine ? », tandis qu’une autre méchante femme répondait « Pour quoi faire ? Un destin de poussière ? Une vieillesse de mannequin ? ».

Philip Pilato

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