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30.1.08

Mauvaise Passe

C'est pas de ma faute, je dis. Le shit, ça me rend morose. Mais pas possible de lui raconter tout le reste. Ca ressemblerait trop à un balbutiement littéraire d'une jeune pétasse qui se plaint de se faire baiser sous cocaïne et d'avoir trop de fric. Notre problème, nous, c'était le fric, justement. Nous avions tant besoin l'un de l'autre qu'on en oubliait le reste et qu'à force de pas de travers je me suis faite virée de ma compagnie. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à sentir ma peau gonfler sous ses désespoirs. J'avais un amour de petite fille. Je l'aimais plus que moi-même et je déprimais de le voir désemparé face à la disposition galérienne de notre trajectoire commune. Moi, rejetée de mes consoeurs salopes de la compagnie, lui, errant de bars en bars à la recherche d'un salaire au black capable de lui payer sa dignité. Ces pétasses ont commencé à me considérer de travers dès qu'elles ont senti que je ne rentrerais plus dans leurs jeans. Comme si pour s'aimer, il fallait pouvoir se refiler toute une armée de jeans 36 délavés et puant la sueur. Le laisser-aller ça n'a jamais plu à personne. Il y eut encore quelques cafés. Puis je refusais leurs invitations à faire du shopping. Nous n'avions pas la même bourse ni le même tour de taille. Un fossé de 5 ou 6 kilos s'était creusé entre ma vie d'avant et moi-même. Elles ont cessé de m'appeler. Je n'avais d'yeux que pour lui, lui qui ne se regardait plus de face. Alors, la fumée était une issue facile. Un temps mort dans notre chute. Une chute banale, comme on aimerait tous avoir vécu en guise de clôture de notre adolescence, la crise fantasme de tous les petits bourgeois qui se la jouent le soir et l'oublient au petit jour dans les draps en coton satiné pliés par leur maman.

Alors je me tais. Certaine encore du pouvoir de mon silence et consciente que mes mots, s'ils sortaient, ne sauraient exprimer la véracité de ce qu'il envisageait comme une crise de riche. Et dans ma tête résonnaient ces derniers mots. C'est pas ma faute. Pas ma faute. Cette sensation étrange qu'on ne saura pas expliquer à quiconque la profondeur de notre chute, je ne l'ai plus retrouvée ensuite et elle m'a manquée. A l’avenir, je sus parfaitement prononcer les bonnes paroles en toutes circonstances, faire passer des choses merdiques en expériences de vie formidables mais ces secrets sont restés derrière la porte de cet homme froid, dur, qui profitait de la situation. Ma peau coincée entre les boutons de mon pantalon trop serré, le t-shirt qui remonte sournoisement à cause de la position assise, rebiquant pour dévoiler ma chair débordante, je ne peux pas retrouver mes moyens, mon aisance de langage qui a disparu avec ma silhouette de danseuse. Durant les temps morts où il ne s'entête plus à me reposer la question, je pense à tout cela. Et ça me fait l'effet du dernier instant, celui que l'on décrit dans les films ou les livres comme le déroulement de sa vie à toute vitesse. Souvent cela se passe lors d'une chute du trente-sixième étage, mais là, je suis simplement assise et les minutes qui me séparent d'une fin énigmatique semblent des heures. Il faudrait expliquer tout ça, tenter de me dédouaner, sans le couvrir. Comment le dire, sans que cela m'injecte un coup brûlant dans le crâne, sans que je perde à tout jamais cette sorte de coeur ouvert qu'il représente sous cette couche de peau grossière. Je revois le premier geste d'impudeur. Un soir il est rentré à l’appartement et il m'a dit: C'est fini, Jeanne, on arrête de vivre ça. Et pour arrêter ce rien, il faut se séparer, diviser en deux nos soucis pour mieux les surmonter. Comment ces mots ont-ils pu fuser hors de sa bouche tendre, de son palais soyeux? Je n'en sais rien. Ce que je sais c'est la façon folle dont ils ont frappé mon oreille et jusqu'à mon crâne. J'ai dit NON. Et je suis partie. Sans savoir où, bien sûr. Sous l'abribus du Père Lachaise, la pluie coulait à cause d'un trou. Mon t-shirt déjà trop moulant s'est mis à me coller la poitrine, un homme m' a souri. Je n'ai pas su comment prendre ce sourire mais cet à cet instant que j'ai compris que ce pauvre corps inanimé, croulant sous une graisse étrangère pourrait encore servir notre amour, une fois, rien qu'une fois. Je me revois en train de m'inventer des sourires de salope dans le reflet de la carte contre le mur transparent et trempé. Devant Terne, j'ai ouvert ma bouche lentement, souriant d'une manière sensuelle, je crois. Face à Pigalle, j'ai touché un de mes seins en souriant par le bas, relevant mon port de tête et misant sur le regard de biais, j'ai offert mille possibilités indécentes au métro Commerce, mais c'est bien à Père Lachaise que ça a pris corps, si l'on peut dire. Echouée les jambes lâchée sur le banc humide, attendant que la pluie cesse pour bouger, un homme s'est arrêté. Jolie voiture, cuir intérieur. Rien de tout cela n'était programmé. Je n'ai pas attendu sa question. J'ai dit 400 ou rien, mais tu verras je suis exceptionnelle. Je n'avais aucune idée de l'exceptionnel en matière de sexe. Je ne pensais qu'à lui, mon amour. Qu'à lui rapporter vite de l'argent. Le reste, reste derrière nous. J'ai reçu 550 euros et il m'a déposé au petit matin, fatiguée et débraillée, en me plaquant une dernière fois la bouche sur son sexe gluant. Quand je suis rentrée, il m'a frappée en voyant ma panoplie explicite et le liquide dans ma main droite.

Il a été arrêté le soir même. Nous n'avions pas pu payer à temps les factures Edf, je l'attendais dans le noir quand un policier est entré chez moi. Il m'a embarquée. C'était fini. Une mauvaise passe, comme ils disent dans les polars. Une réalité qui se plaquait aux fictions les plus incrédules dans un froid qui me glace toujours les os. Et mon visage poupon qui ne collait pourtant pas avec le décor.

J'ai su après. Il avait trouvé le numéro de mon client, mon unique client dans le derrière de mon jean. Ensuite, tout a été très vite. La seule chose que j'ai pu dire, c'est de ne pas appeler mes parents, des gens bien vous savez, ils sont médecins, à la clinique de Neuilly, je ne voudrais pas que tout cela leur fasse du tort.

Alors ?,hurle-t-on dans mon oreille gauche. Assise devant cet homme dur, je sens bien que je deviens une autre. Je me surprends encore à prier pour que tout cela soit une sale blague et qu'on se réveille demain. J’ai la chair de poule, la pièce est humide, mes yeux restent pourtant secs, je suis dépouillée d’une partie de mon cerveau. Heureusement que j’ai encore ces joints dans le sang. Ils me rendent mélancolique mais m’empêchent de tout perdre. Comme si je me raccrochais à quelque chose d’abstrait. Une sensation, une émotion interne. Comme celle que j’ai ressentie lorsque je suis partie de la maison de famille avec, dans mes valises, l’image floue de mon père frappant sa tête sur la table en verre à cause d’un trop plein d’alcool. Mauvais tour. Si le gros bonhomme froid me laisse tranquille, je promets d’accepter ma part d’héritage qu’il a voulu me laisser en échange d’un silence lourd à porter. Encore une fois me voilà à tricoter un silence derrière mes paupières. Et je vois les évènements passés à la lueur nouvelle de cet état de non-retour dans lequel nous nous sommes entraînés, seuls, comme des grands, alors que nous avions le choix. Il ne faut jamais céder totalement à une crise de post-adolescence. Je ne saurais pas dire pourquoi tous les deux nous avions voulu jouer aux gangsters ridicules. Ce que je sais, c'est que j'ai fait ça avec amour et pour lui. C'est précisément pour cela que je ne dirai rien aujourd'hui. Rien du tout. Pour lui éviter le pire. Pour le voir sortir avant dix ans.

Olivia M

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