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25.2.07

Rêves Partis

Ses rêves partis, elle s’y oublie parfois. Morceaux de poésie qui ont semé sa trace, le ciel sans plus d’étoiles auxquelles se raccrocher. Lorsqu’elle ferme les yeux, elle génère ce vertige. Paysage défiguré par une falaise sans fond. C’est tout son peu de vie qui pourrait basculer dedans. Inlassablement, elle s’agenouille au bord et y jette sa douleur, larmes offertes au démon qui ne la laisse jamais tranquille, jamais seule, là toujours prompt à la mordre jusqu’au sang. Et quand enfin rassasié le monstre cesse de gueuler, ne serait ce qu’un court instant, reste en elle cette musique, là au fond de ses nuits blanches. Elle y danse comme la ballerine d’une boite à secrets.

Sourde aux bruits alentours, rythme de son corps calé sur les litanies qui résonnent dans sa tête, elle ferme les yeux, se laisse porter doucement. Ondulation impeccable de ses formes fragiles, et tous les regards semblent braquer sur elle. Elle danse. Une heure qu’elle est sur la piste. Seule ici au milieu d’une foule compacte. Autour d’elle, masse informe de chair qui grouille sous les projecteurs, on distingue des visages teintés de bleu ou vert qui disparaissent aussitôt, fondus les uns dans les autres sous des mouvements de bras. On ne voit qu’elle, comme un halo de paix au milieu du carnage. Elle n’en a pas conscience, s’évertue invisible. Mais ce pouvoir qui émane de chacun de ses gestes. Sa douceur désinvolte. Précision affûtée de petite fée salie par le monde alentour. Elle a perdu ses ailes au fond d’un verre d’alcool, s’abandonne enivrée à cette nuit comme à la précédente, persuadée qu’elle est qu’à tout moment, si elle en a besoin, une ou deux enjambées la mettront à l’abri. Elle est si délicate, elle devrait avoir peur de ces ombres qui l’entourent, et pourtant rien en elle ne viendrait à trembler, même le plus petit morceau d’âme reste vissé à sa place. La douleur si bien maîtrisée, qu’elle en porte l’odeur. Rien ne pourrait l’atteindre aussi fort que les coups qu’elle se porte au-dedans, rien de mieux calibré que ces douleurs atroces qu’elle se sait capable de s’infliger seule. Elle est là, si fragile, si vulnérable, mais n’a rien ni personne d’autre à craindre qu’elle même.

Y a ces regards qui cognent, voudraient bien l’abîmer. Tactiques de connards qui l’approchent et la frôlent, la bousculent. Dans leurs yeux c’est le désir, l’envie de l’esquinter. Crevards à quatre pattes qui aimeraient la soumettre, bandent durs et féroces dans leurs pantalons trop serrés. Elle ne les regarde pas, garde les yeux fermés, s’applique à ne rien faire exister de cet univers étroit et bruyant. Elle est ici juste pour se perdre, une nuit juste, parvenir à disparaître dedans. Y a que dans ce chaos qu’elle fini enfin par ressentir un peu d’apaisement, qu’elle retrouve le goût des rêves. Danse lascive et murmurée, rendue obscène par la lenteur qu’elle déploie au milieu des autres qui se secouent en l’air, elle est là en suspend, trop offerte. Elle entend dans sa tête, comme des notes au piano, sent les larmes lui monter. Puis ce sourire qui lui mange l’intérieur, et doucement la joie de vivre qui lui caresse la peau du dedans, chaque millimètre d’elle qui vibre. Rythme saccadé qui fini par s’éteindre, et d’un coup immobile, visage levé au ciel, elle tend les paumes de ses mains vers le haut, comme en dehors des choses. C’est la vie qu’elle ressent, ce que tous sont venus chercher dans cette nuit qui ne finit pas, et s’en éloignent à force de vouloir la trouver au mauvais endroit, de la mauvaise façon. Au fond d’elle. C’est de là que ça émerge. Une aura toute puissante. Le cri le plus élémentaire. Elle entrouvre les lèvres, là comme au ralenti, lumière de spot qui lui crève le regard. Et tout se scinde. Tout se divise. Quelques secondes à peine, elle écarte le néant d’un côté puis de l’autre. Ses larmes coulent, et autour d’elle, l’univers entier continue de danser sur la musique techno. Elle n’entend plus rien que ce souffle qui lui rempli le corps, et les battements du cœur qui remplissent sa poitrine.

Ça dure un bref instant. Difficile à maintenir. Il la bouscule. Coup d’épaule lourdement orienté. Ligne droite parfaite de sa trajectoire, contrôle sévère, imparable. Il reste planté là. Obsédé par l’idée d’exister pour elle. Ne supporte pas la voir garder les yeux fermés, et pour qui elle se prend, elle ne sait pas qui je suis, mais qui c’est cette pétasse, putain je vais la baiser. A aucun moment il ne voit, les longues coulées de larmes qui fondent sur son visage. Elle reste droite et sourde à lui, perdue là dans sa transe.

Il lui attrape le bras, ne lui laisse pas le choix que de se tourner vers lui. Il lui parle. Mots lourds et crus balancés par le membre. Habitude ancrée à la source, de ne jamais laisser à l’autre aucune échappatoire, toujours la posséder. Presque il crache ses mots, presque il veut lui faire mal, ressert l’étreinte de ses doigts qui s’enfonce dans la peau blanche. Elle tourne la tête, le regarde d’en dessous. Sans surprise face au besoin de l’autre de la faire appartenir, d’en devenir le jouet. Elle a toujours vu ça et dans tous les regards. Elle ne sent pas l’étreinte trop forte. Ne sent pas la douleur. Dans ses yeux à elle, c’est juste la lassitude. Point d’honneur que met l’autre à vouloir la sauter, et qu’elle sait inutile au fond. Elle sait que de toute façon, dans quelques heures elle retournera danser dans sa boîte à secrets.

Il lui dit : C’est quoi ton prénom ?

A peine elle ouvre la bouche. Je n’en ai pas…
Il affiche air énervé de mec trop sûr de lui, qui décide de ce qui est une bonne réponse et de ce qui est une mauvaise. Il continue de la tenir fermement. Elle ne se débat pas.
Elle lui dit : méfie toi de moi car parfois je m’abîme…

Il continue pourtant, de tirer sur elle pour l’amener contre lui. Personne autour ne bronche, personne ne remarque vraiment. Mouvements secs de bonhomme gangrené par l’alcool. Craquement dont il ne pourrait situer précisément la provenance. Il tire sur le bras. Il voit juste, à la base de l’épaule, fils noirs apparaître et s’étirer longuement, continue machinalement de tirer jusqu’à les voir se casser. Le membre qui se décroche du corps. Il ne réalise pas que c’est son bras à elle qu’il tient dans la main. Regarde bêtement les fils arrachés qui pendouillent tout au bout. Son visage à elle, résigné, fermé, dégueule d’une peine habituelle, facilité des traits à se positionner à la bancale.

Elle a juste le temps, dans la stupéfaction de l’autre, de ramasser le bras qu’il laisse tomber à terre, et courir quelques mètres jusqu’à la porte des toilettes. Le mec reste là, pétrifié, sans comprendre. La regarde disparaître dans la foule. Queue molle et flasque de son ego brisé, reste du corps incapable de bouger.

Dans les toilettes, attroupements de connasses devant les miroirs, visages qu’il faut redessiner malgré la sueur qui brouille leurs traits. Leurs bâtons de rouge à lèvres pour situer la bouche, du mascara et un peu de crayon pour rappeler leurs yeux. La vraie beauté s’efface rapidement, sous les croquis qu’il faut en faire. Et comment séduire et comment il faut plaire.
Elle franchit la première porte qu’elle trouve, peau suintante de tristesse qu’on pourrait prendre pour de la transpiration, son désespoir masqué. Elle verrouille derrière elle, se laisse glisser contre le mur, jusqu’au sol. Carrelage souillé par les allers venus. Flaque de pisse qui vient mouiller son jupon noir. Elle regarde le tissu déchiré de sa peau. Elle soupire. Elle était si près d’y parvenir cette fois. Elle soulève son tee shirt, attrape une aiguille enfoncée dans son ventre, puis malgré la main qui tremble, tente de se recoudre. Assurance de ses gestes dénués d’énergie, puis les coups contre la porte qui l’empêche de se concentrer. Comme une panique qui la saisie, elle ferme ses yeux, pensant parvenir à faire taire le monde encore mais cette fois rien ne se passe, rien ne la remplie. Quelques secondes. C’est la peur qui finalement la gagne. Pose mal assurée, en appui sur le mur, elle se recroqueville doucement, jusqu’à devenir un point minuscule. Jusqu’à n’être plus rien.

Le loquet de la porte fini par craquer sous les coups répétés.
Tout ce qu’on trouve, par terre, c’est une poupée de chiffon, désarticulée, déchirée de part en part. Le mec derrière le type de la sécu, n’arrête pas de hurler que c’est là qu’il a vu la fille se planquer. Il gueule. On l’emmène à l’écart.
Personne ne ramasse la poupée. On la regarde juste.
Comme à n’y rien comprendre.

La vie et où qu’elle soit.

Si habile à se perdre.

Antoine Dole

Pour contacter Antoine Dole ou un autre auteur de la revue :
revuenoiretblanc@hotmail.com

Paul ou la mousse écarlate

Je mens. Je dis Paul mais Paul n'existe pas. Un cochon sur une moquette beige. Un éléphant sur une commode. J'avais bu ce soir là. J'étais indolente mais déterminée dans mon âme. Tu es arrivé. Tu as écrasé mes ballerines. Elles étaient d'une couleur rose-praline. Je sais. Le rose-praline n'existe pas mais Paul non plus,n'existe plus. Je buvais une bière dans un gobelet prussien. J'imaginais ton ventre tout rond et j'avais envie de mordre tes boules. Je pensais à des pivoines et à ta langue pleine de toi. Paul a des yeux de chien rouge qui s'étonnent d'avoir les oreilles noires. Nous étions dehors. Des farandoles de gurilandes. La rue pavée. Des graines de pavot sur le gâteau de mamie. Tout près de ma peau, un clocher qui sonne midi à l'envers. Il fait si nuit. Paul me tient la gorge. J'ai envie de mordre ta canine. Paul me touche la poitrine qui gonfle de bière et de pisse. Je suis si triste. Demain, c'est dimanche et je vais devoir me droguer d'encre bleutée pour penser t'oublier.

Sandrine-Léonard

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La Decadence de L'Ennui

Cette histoire se déroule quelque part sur la Terre au début du XXIeme siècle.

C'était une époque formidable, un temps d'innocence et d'allégresse pour la planète entière.Oh certes, dans certains pays régnaient encore la guerre mais bon, il suffisait de zapper sur MTV pour ne plus s'en soucier.
De la même façon, en Afrique, un ou deux génocides se préparaient mais personne n'en parlait vraiment à part deux, trois journalistes d'Arte. Des africains qui mourraient ce n'était pas vraiment ce que l'on pouvait appeler 'the news of the day'.

Ce genre de considération géopolitique intéressait encore moins les jeunes de mon age, en effet, la plupart des types de ma génération n'en avait cure de faire la révolution ou de changer le monde.
Et cette nonchalance intellectuelle n'était pas du au fait qu'ils étaient superficiels ( vous savez le genre de personne a avoir comme grand dilemme leur tenue vestimentaire, la brisure d'un ongle ou le fait que, je cite 'cette pétasse de Marie a acheté le même sac que moi' ), non, c'était juste parce qu'ils n'en avaient juste pas envie, voila, juste ça, c'était tout.

Mais, il faut pas croire, il y en avait qui avaient des convictions et puis de toute façon nous les jeunes on se battait déjà contre un monstre ignoble, un démon horrible qui frappait à toutes les heures et pas juste a minuit, a toutes les portes et peut-être bientôt a la votre, cette infâme créature avait un nom, l'ennui.

Alors forcément pour le combler cet ennui, et entre deux éjacs faciales de Marie Sophie (enregistrée en secret par son boyfriend puis disponible sur Youtube ), les jeunes de 18 a 35 ans s'occupaient comme ils pouvaient, certains jouaient au justicier, ils se divertissaient en aidant les pauvres gens, le plan 'Les Enfants de Don Quichotte', mais moi je suis pas si con ( comme même un peu mais pas tant que ça ), je sais qu'ils ont juste réussi à faire d'une pierre deux coup.

De un, ils ont enfin trouvé quoi faire de leur vendredi Soir ( parce qu'entrer en night-club des fois, c'est hard ) et de deux ils passent à la télévision ( selon les sondages, passer a la télé et par la suite devenir une célébrité est la préoccupation principale de 53 % des 13-25 ans ), bon accessoirement ils ont amusés deux, trois SDF mais les gens sans domiciles fixes, ils sont pas cons, faut pas croire, ils savaient très bien que ces bouffons repartiront en même temps que les journalistes d'amener leur caméra, ils cesseront.

Les jeunes bourgeois étaient de ceux qui s'ennuyaient le plus, en effet que faire dans une société de consommation quand on a déjà tout consommé et cela sans avoir rien demandé à personne.

Certains du XVIeme ont trouvé la solution, on se fait passer pour des victimes, on prend une caméra, on s'achète une ou deux bouteilles de champagnes et avec un peu de farine sur la table du salon de grand-maman, on se trouve un surnom top inglish et beau-papa nous fait passer à TF1.

Bon, la bien sur, il faut remettre les choses en contexte, je parle de deux extrêmes, de ceux dont l'ennui est devenu insoutenable et entre ces deux points de bipolarité lobotomisés se retrouvent des types comme moi, quasiment banal qui se contentent pour combler l'insoutenable (et légendaire ) légèreté de l'esprit de baskets Gucci a 600 Euros ( acheté sur Internet grâce à une fausse carte de crédit volée ), d'un jean Evisu a 250 $, d'une veste Armani a au moins 300 $ mais acheté pour 20 $ dans une friperie de Montréal et d'un T-shirt fait par un de ces potes.Ah, et aussi d'accessoirement d'un rendez-vous avec une jeune et jolie jeune fille de 20 ans rencontré quelques jours auparavant dans un de ces lounges a la mode remplis de pétasses siliconées ou de veilles de 30 ans légèrement liftées ( oui, je sais cela fait cliché mais ça reste quand même une réalité ) ou on écoute la même musique formatée de Cannes, a Tokyo, en passant bien sur même par Perpignan.

Comme chaque fois que je devais voir une fille, je stressais, j'avais les mains moites, la peur de ne pas assurer, la honte ( a l'avance ) de ne pas bander ( ça arrive même a 20 ans ), le cœur qui battait un peu trop fort.

Pour ces symptômes, bien sur, comme à chaque fois deux solutions : soit baiser une de ces ex a l'avance ou se défoncer.

Je choisis la deuxième.

N'allez pas voir dans ma décision d'intoxication un signe de faiblesse, non, au contraire, cela prend du courage de jouer au jeune coké, défoncé ( et encore plus de l'écrire ), tant de conformisme assumé, c'est un sacerdoce, une preuve d'un indéfectible sens d'un manque de personnalité.
En effet, en 2007, les vrais rebelles, les descendants de ceux qui d'antan mourraient au front, sont les jeunes de 18 a 35 ans, ni tatoués, ni percés et qui ne consomment pas de drogues. Moi, bien évidemment je n'en étais pas un (de rebelles...)
Tout cela, malheureusement, ne changeait pas le fait que j'étais là devant un immeuble de la rue Mont-Royal, vêtu de manière à dire, j'ai de l'argent mais je m'en fous légèrement ( car de nos jours il n'y avait que les pauvres pour tenter de passer pour des riches ( Les gens plus aisés financièrement ( et qui ont du style ) eux, savent que le plus important est de ne jamais passer pour ce que l'on n'est pas ( d'où les bobos, d'où les converses trouées qui datent de 2002 avec dans la poche, une Visa Or ))) et que j'avais rendez-vous avec une jeune fille rencontré quelques jours plus tôt.


Le premier rendez-vous était toujours assez délicat pour un homme de mon age, il fallait être prêt à toute éventualité et en quelques années sur le trottoir de Montréal, j'en avais rencontré des éventualités ( la courte liste de mes récentes éventualités comprenait Karima, la meilleure amie de ma soeur, avec qui j'avais eu une brève mais intense relation qui s'était terminée par une maladresse de décalage géographique ( j'ai malencontreusement éjaculé sur son œil quand elle voulait que je vienne sur son visage ( il est à noté cependant que Karima ne m'avait pas précisé l'endroit précis ou elle désirait que je fasse la chose d’où ma maladresse ), après elle j'avais rencontré Nola, la femme de ma vie, on est resté quatre mois ensemble, les quatre plus beaux mois de ma vie, je l'avais aimé d'amour et elle m'avait trahie, après le décès de son père elle avait tout quittée pour aller vivre à Paris ( quelle ironie, moi j'avais quitté Paris pour Montréal, arrivé à Montréal je rencontre la femme de ma vie qui me quitte pour aller vivre à Paris ) puis j'ai croisé Laura la schizophrène, Cynthia la nymphomane échangiste, sans oublier Blondie dont je n'ai jamais connu le vrai nom mais que j'ai quitté quand je me suis aperçu que ma carte de crédit, ma carte de débit et mon compte chèque avaient été siphonnés par elle et cela sans qu'elle ne m'en demande la permission ( je n'ai jamais su comment elle avait fait d'ailleurs ), il ne fallait pas bien sur oublier Christiane et ses vaginites a répétitions ni Laura que j'ai quittée par SMS……… , bref j'en passe des conasses et parmi les meilleures, de l'Europe a l'Asie.

Je me suis mis à penser à toutes ces folles qui ont croisé mon parcours, ces poupées russes que j'ouvrais sans fin et je me suis rappelé que ma jeune et jolie jeune fille de 20 ans n'était pas si extraordinairement mignonne que ça et même, en y repensant, un peu repoussante.Je me suis rappelé aussi la façon peu classieuse qu'elle avait eue de se baisser devant moi avec sa pose a la ‘oh, j'ai fait tomber mon rouge a lèvre alors je vais me baisser doucement et lentement devant toi et te montrer mon cul parce que je sais que vous les noirs, vous aimez ça’ et j'ai décidé de rentrer chez moi.

Il y aura sûrement un porno à regarder sur Internet avec deux filles qui rentrent leurs doigts de pieds dans le vagin d'une troisième, fascinant et pour combler l'ennui, j'écrirais sûrement une nouvelle ratée (mais qui sera sûrement la meilleure que je n'aurais jamais écrite) sur cette soirée avortée.

Pour contacter Anthony Naglaa ou un autre auteur de la revue : revuenoiretblanc@hotmail.com

18.2.07

Recensement

J'étais seul chez moi, tous volets fermés, avec comme seule source de lumière ma petite lampe de bureau, tournée vers le mur.

Je fumais assis dans le canapé, un pack de bière posé sur la table basse en face de moi. L'iMac trônait fier sur le bureau à l'autre bout de la pièce.

" Saleté de machine ", j'ai sifflé entre mes dents en lançant une capsule de bière dans sa direction.

Sur le mur au dessus du bureau j'avais accroché les portraits de mes écrivains fétiches. Céline, Camus, Balzac, Baudelaire, Hemingway… Ils étaient tous là, accrochés au mur à me narguer, à agiter leurs chef-d'œuvres sous mon nez et à se marrer et leurs rires flottaient dans toute la pièce. Je suis allé m'asseoir devant l'ordinateur et j'ai commencé à taper. Ils continuaient à se foutre de moi, j'ai attrapé une bière et j'ai continué à taper mais impossible de me concentrer.

" Ah, ça vous fait marrer, hein, mais moi j'en ai rien à foutre parce que vous êtes tous morts, hé hé, vous êtes tous morts et moi je suis vivant ! "

Je suis parti d'un rire dément.

" Vous pouvez rien contre moi bande de sacs d'os pourris ! "

Dans un accès de furie j'ai arraché leurs sales gueules de mon mur et je les ai tous jetés à la poubelle. Puis j'ai bu une longue gorgée et je me suis rassis devant l'ordinateur, l'esprit libéré.

J'ai écrit pendant tout le restant de l'après-midi jusqu'en début de soirée puis je suis allé m'installer dans le canapé pour relire mon travail. Je l'imprimais toujours au fur et à mesure pour pouvoir me relire sans me bousiller les yeux sur l'écran.

J'étais sur le point de m'y remettre pour corriger quelques phrases qui n'allaient pas quand on a sonné à l'interphone.

" Oui ? "

" Bonsoir Monsieur, excusez moi de vous déranger, c'est pour le recensement, auriez-vous quelques instants à me consacrer ? "

" Le recensement ? "

" Vous n'êtes pas au courant ? La mairie a lancé récemment une vaste campagne de recensement, j'ai seulement quelques questions à vous poser, ça ne sera pas long. "

" Ok, allez-y, montez. "

C'était un jeune, certainement encore étudiant, un blond plutôt gringalet avec des lunettes rondes.

" Je vous en prie, installez-vous, vous buvez quelque chose ? "

" Non merci, j'ai encore des gens à visiter après vous. "

Je suis allé m'ouvrir une bière tandis qu'il s'installait dans le canapé.

" Comme je vous le disais, Monsieur le Maire a lancé une vaste campagne de recensement dans toute l'agglomération dans le but de mieux connaître ses concitoyens. En effet il souhaite modifier profondément la politique de la ville en la rendant plus proche des revendications de ses habitants. Je vous demanderai donc de bien vouloir répondre à quelques question si cela ne vous dérange pas. "

" Je vous écoute. "

" Je vais commencer par des informations générales vous concernant, comment vous appelez-vous ? "

" Daniel Duval. "

" Quel âge avez-vous ? "

" Trente-quatre ans. "

" Depuis quand vivez vous à Montpellier ? "

" Je suis arrivé il y a presque dix ans. "

" Avez-vous de la famille à Montpellier ? "

" Non. "

" Diriez-vous que Montpellier est une ville agréable à vivre ? "

" Par certains côtés, oui. "

" Lesquels ? "

" Les femmes sont jolies, ici. Vous êtes sûr que vous ne voulez pas un verre ? "

" Non merci, sans façon. Et selon vous, quel est le principal défaut de cette ville ? "

" Les bars ferment trop tôt. "

" Très bien. "

Il prenait des notes sur un petit calepin au fur et à mesure de l'entretien. Il griffonnait furieusement, le visage très près de la feuille, ses lunettes glissaient sans arrêt le long de son nez et il était à chaque fois obligé de s'interrompre pour les remettre en place d'un geste machinal. J'ai fini ma bière et j'ai allumé une clope. Le pack était vide mais il y avait une bouteille de blanc au frais.

" Ok, question suivante, quel est votre métier ? "

" Je suis écrivain. "

" Whaa ! C'est vrai ? "

" Oui. "

" J'en reviens pas, j'adore les écrivains. "

" Moi pas. "

" Ah bon ? Et pourquoi ça ? "

" La plupart ne sont que des feignants et des imposteurs. Ils passent leurs journées à se branler les couilles pendant que leurs femmes sont au boulot et à leur écrire des poèmes d'amour pour avoir droit à leur petite pipe du soir avant de s'endormir. "

" Et vous ? "

" Je n'ai pas de femme, je vis seul. La plupart des gens sont incapables de vivre seul. Ils deviennent fous à la longue s'ils n'ont personne sur qui dégueuler toute leur haine au quotidien. "

" Quand est-ce que vous avez commencé à écrire ? "

" J'ai commencé à la fac, j'étudiais pour devenir journaliste. J'ai mis du temps avant d'abandonner la fac pour ne faire que ça, je détestais ce que je faisais, je détestais ma vie, mais j'avais peur de devenir un vieux fou solitaire. C'est à cette époque là que j'ai commencé à boire tous les jours. Vous allez bien boire quelque chose, non ? "

Je suis allé déboucher la bouteille de blanc et j'ai servi deux verres. J'ai posé son verre devant lui et j'ai entamé le mien.

" Et qu'est-ce qui a fait que vous ayez quand même lâché vos études pour écrire ? "

" J'avais peur de devenir un vieux fou solitaire avec un boulot de merde. Allez-y buvez. "

Il n'a pas osé refuser une nouvelle fois. Il a trempé le bout de ses lèvres dans le verre puis l'a reposé en face de lui.

" Comment se fait-il que vous soyez seul ? Les femmes aiment bien les écrivains en général. "

" Les femmes n'aiment que les écrivains qui passent à la télé…

" J'aime les femmes. J'aime les tenir dans mes bras, j'aime sentir leur peau frémir sous mes baisers, j'aime me soûler toute la nuit en compagnie d'une belle femme et lui faire l'amour au petit matin. Mais je ne peux pas vivre avec une femme. Au début elle vous donne de l'énergie, vous vous sentez léger et tout puissant, et puis petit à petit vous devenez plus faible, et avant que vous ne vous en rendiez compte, elle a déjà commencé a vous pomper votre énergie et si vous ne réagissez pas elle aspirera jusqu'à la dernière goutte de fluide vital encore présent en vous et elle vous jettera comme une vulgaire coquille vide. "

" Vous avez déjà publié des livres ? "

" Non, mes manuscrits me sont toujours renvoyés, mais je publie régulièrement des nouvelles dans quelques fanzines de la région. "

" Les éditeurs sont si exigeants que ça ? "

" Les éditeurs ont de la merde plein la tête. "

Je me suis resservi un verre puis j'ai pointé du nez vers le sien pour lui faire signe de le finir tandis que je tenais la bouteille, prêt à le resservir. Son visage commençait déjà à prendre quelques couleurs.

" Il reste une question dans mon questionnaire que je ne vous ai pas encore posé. "

" Faite donc. "

" Que changeriez vous dans la politique menée jusqu'à présent par la ville et voteriez vous pour le maire déjà en place aux élections de l'an prochain s'il effectuait ces changements ? "

" Je m'intéresse assez peu à la politique vous savez, tant que j'ai un toit au dessus de ma tête, des bières au frigo et le chômage qui tombe tous les mois, je ne me plains pas. En revanche, lors de mes fréquentes errances nocturnes, je suis souvent amené à côtoyer des clochards, des ivrognes et des oubliés de toute sorte. Et tant que votre maire n'ira pas écouter ce que ces gens là ont à dire, et bien il pourra se carrer mon vote dans son gros cul plein de gras. Ca fait dix ans que je vis ici et je n'ai jamais vu autant d'âmes perdues errer dans les rues la nuit tombée. Je suppose que ces dix dernières années n'ont pas dû être très dures pour votre maire. "

" Vous devez avoir raison. Merci de m'avoir accordé un peu de votre temps. Je vais devoir partir à présent il me reste encore beaucoup de gens à voir. "

" Allons vous n'allez pas partir maintenant, la bouteille n'est pas encore vide. "

" Non vraiment, merci mais je dois y aller. "

" Très bien, vous connaissez le chemin. "

Il a prestement rangé son calepin et son stylo puis, me remerciant encore une fois il a franchit la porte d'entrée et s'est engagé dans l'escalier. Il faisait froid dehors. Je suis allé me faire couler un bain chaud, puis je me suis déshabillé rapidement et je me suis allongé dans l'eau délicieusement brûlante.

Matthieu

Pour contacter Matthieu ou un autre auteur de la revue : revuenoiretblanc@hotmail.com

Mère Juive

Je suis né le 01 janvier 1983. Ma mère a su que j'étais spécial car j'étais le seul de ces cinq enfants qui ne lui a donnée aucune douleur à l'accouchement.
J'ai été conçu par Madeleine Halévy, ma mère est une Beta Israël, une des descendantes de l'une des douze tribus d'Israël qui ont immigrés au Veme siècle dans le Nord de l'Éthiopie.Contrairement a beaucoup d'autres venus d'Europe qui se disent descendants d'Abraham, l'ADN de ma mère a des génomes identiques a celui de nombreuses familles de juifs qui n'ont jamais quittés Israël en 5000 ans et dont les liens avec les fils des douze tribus ne fait aucun doute.
Malgré cela, ma mère a connu la haine, le racisme et la discrimination en Terre Sainte.Elle a été rejetée a cause de sa couleur de peau, sa famille a été expulsée de Or Yehuda car le maire de la ville a refusé de recevoir des Ethiopiens dans sa commune.
A l'école, on lui demandé si a l'époque elle vivait dans un arbre, adolescente, incandescente, on lui refusait l'entrée des boites de nuit.Ma mère n'a plus aucun amour pour les autres car les autres lui ont tout pris sans jamais rien lui donner.Pourtant, ma mère m'a élevée dans l'amour de la religion, l'amour de son prochain parce que la haine des autres n'est que le cercueil de soi-même.
J'aime ma mère parce que de ses entrailles, j'ai hérité le goût de répandre le sang mais l'élégance de ne pas le faire et d'a la place de donner la vie a travers mes écrits.

Anthony Naglaa

Pour contacter Anthony Naglaa ou un autre auteur de la revue : revuenoiretblanc@hotmail.com

Elle

Assise au bout de la jetée, Elle regarde le flux se briser sur les récifs. Revenir et repartir dans un mouvement incessant. L’écume qui scintille sous les rayons du soleil couchant. La mousse qui s'accroche au sable et qui vient colorer ses pieds bleu de froid. Une légère brise joueuse caresse son visage et entremêle délicatement ses cheveux. Il n’y a personne. Pas un seul être humain. Aucunes créatures ne troublent le silence des vagues, pas même les oiseaux. On dirait presque que le temps ne s'écoule plus, que la vie s’est arrêtée… En fait, elle l’est. La vie d’Elle s’est arrêtée, il y a cinq ans maintenant. Elle attend la mort. Elle espère la mort depuis si longtemps. Le temps ne lui échappe plus, le temps ne lui manque plus mais les occupations oui. L’Éternité demeure. Elle ne pense à rien. Elle a oublié ce que c’était. Elle a oublié comment on fait. Elle a oublié ses désirs, ses envies, son imagination et ses rêves. Elle n'a pas de souvenirs. Elle n'a que le bleu de l'océan sous les yeux, des yeux vitreux qui cherchent encore la vie. La vie dans un paysage de mort.

Elle :

Les mouettes volent autour des récifs à la recherche de nourriture. De temps en temps, elles plongent et ressortent. Victorieuses. Moi, je ne le serai jamais, je ne veux même plus l'être. Elles se posent doucement sur les vagues et se laissent bercer par le rythme des clapotis de l'eau. Moi aussi. Mais pas par une douce onde harmonieuse, non c'est par la douleur. Je ne les comprends pas. Pourquoi manger ? Pourquoi, pour qui survivre ?
C’est drôle... ou non, plutôt dramatique. Ces mouettes ne rient pas. Elles n’émettent aucun son. Même le battement de leurs ailes est silencieux. Il n’y a pas un élément qui pourrait me distraire ici. Tout est monotone, calme, semblable. Rien ne peut m’aider à penser à autre chose mais à quoi penser. Tout me rappelle mes souffrances. Tout me met les larmes aux yeux. Et le pire, rien, plus rien ne peut me faire sourire… ou alors, c’est un rictus qui se fige définitivement sur mon visage.

Je sursaute. Une mouette vient de se poser près de moi. Je la regarde. Ses grands yeux sont glauques et inexpressifs. Elle me fixe également et dépose un poisson vivant et frétillant sur ma jupe. Le poisson se débat. Il suffoque. Cherche son air, mais ne le trouve pas. Je n’arrive même pas à en avoir pitié. Je n’éprouve que du mépris pour cette être faible qui croit connaître le tourment. Il ne mérite pas la mort. Qui suis-je pour dire une chose pareille ? Plus je le regarde et plus je me reconnais au début de mes souffrances. Je me plaignais tout le temps. Cela ne changeait rien. Au contraire, je pensais à mes blessures et les ressentais plus encore. Je crois… je crois que j’ai encore un cœur. Je ne peux pas laisser ce poisson souffrir. Je ne le veux pas. Personne ne devrait supporter une quelconque douleur. Je ramasse une pierre et d’un coup sec, je l’abats sur sa tête. C’est efficace. Il ne bouge plus. Lentement, je fixe la pierre et le vide loin devant moi. Alternativement. Je ne réfléchis même pas. Je l’empoigne plus fermement et me frappe la tête d’un coup violent. Je m’effondre. Le sang coule sur mon visage. Peut-être que moi aussi je vais être délivrée…

Ce n’est qu’en pleine nuit qu’Elle reprend connaissance. Elle cligne des yeux et se relève. Lentement, Elle se rend compte qu’Elle est, qu’Elle vit. Qu’Elle a échoué, une fois encore. Elle se dirige vers sa grotte. Là, Elle s’allonge sur sa natte et se frotte doucement le front. Elle ne prend même plus la peine de chercher des manières d’en finir. Elle a déjà quasiment tout essayé. Tout a raté.
La noyade, c’est impossible à concrétiser. Instinctivement, Elle ressort la tête de l’eau pour respirer en un geste malheureusement incontrôlable. Sentir l’eau pénétrée dans ses poumons. Si froide. Si…salée. Elle recrache toujours.
La corde autour du cou, Elle la dessert à chaque fois quand le souffle lui manque. Elle se débat et survit. Dans la souffrance. Ces deux solutions ont un défaut majeur. On peut toujours revenir en arrière au dernier moment…
L’empoisonnement, Elle a laissé tomber. Elle a déjà assez souffert que pour subir les douleurs lancinantes d’une intoxication.

Quant au fusil, Elle ne se sent pas la force d’appuyer sur la détente. De sentir sa tête éclatée. Volée en éclats. Projetant son cerveau sur le mur opposé. Non, ce n’est pas une belle fin. Elle veut se sentir partir. La mort qu’elle a tant attendue ne doit pas être immédiate. Elle souhaite la sentir pénétrer dans chaque parcelle de son corps. Elle espère être bercée par son amie si lointaine et si désirable. Profiter un maximum du temps qui peut lui être accordé lors de son trépas. Profiter du bonheur de la libération.
Elle ne cherche plus de façon d’en finir. Quand le temps sera venu, la solution s’imposera d’elle-même à son esprit. Si celui-ci survit aux souffrances.
Elle allume une bougie et se concentre sur la flamme qui brûle devant elle.

Elle :

La flamme vacille. Elle grandit…et diminue. Tiens, elle s’arrête. Reste immobile. Reprend soudain son mouvement. La cire coule. Elle s’étale sur le sol et y reste figée. J’ai l’impression que je cligne très vite des yeux car la bougie projette des ombres, des lumières sur les parois rocheuses. Des flashs qui me brûlent les rétines. Ha, elle s’arrête à nouveau de bouger. Elle brûle droite. Rigide. Froide. Je ferme les yeux puis les rouvre.
Là. Elle est là. Elle est toujours là. Elle réapparaît à chaque fois. Plus belle et plus blessée que la dernière fois. Il y a une femme qui se dessine dans la flamme. Une femme à genoux. Un long voile lui couvre les cheveux et la recouvre comme une cape. Elle souffre. Elle se tord de douleur. Elle voudrait partir, mais n’y arrive pas. Elle reste là. Collée à son destin. Entravée par des chaînes de feu qui la blessent, un bûcher ardent pour seul amant.
Mais que lui arrive-t-il ? Elle ne bouge plus. Serait-elle en train…d’agoniser ? « Non », je crie. J’appuie mon doigt sur cette femme. Sur cette flamme. La douleur est atroce. Mon doigt fume, mais je ne peux le retirer. Je dois l’aider. La tuer pour la délivrer.

C’est fini. Elle ne bougera plus jamais. Elle ne souffre plus. Je viens de sauver une vie et la maladie va me prendre la mienne. Je n’ai plus de première phalange. Mon doigt est roussi. Carbonisé. Prêt à tomber en cendre. Peut m'importe. Ce n’est pas grave. Je n’en ai plus besoin. En délivrant cette ombre, je me retrouve dans le noir. La lumière qu’elle diffusait c’est éteinte. Il n’y a plus rien qui me retienne en ce jour-ci. Je ferme les yeux. Je m’endors. Si seulement je pouvais ne jamais me réveiller. Si seulement quelqu’un pouvait poser son doigt sur ma flamme intérieure. Éteindre la bougie qui continue de brûler en moi malgré la douleur. J’ai des vertiges. Je ferme les yeux plus forts et plisse mes paupières. Rien à faire. J’ai le cœur qui se balance d’un côté à l’autre. Tant pis, je prends un somnifère pour ce soi. Je dois dormir. J’en ai besoin. La fatigue me fait délirer. Je crois… ou ce n’est peut-être pas le manque de sommeil.

Elle s’est enfin endormie. Même dans son sommeil son visage est contracté par la peine qu'elle endure. Elle a oublié d’avoir mal, mais la douleur revient à chaque fois. Plus brûlante que jamais, plus déchirante. Des larmes coulent le long du visage d’Elle. Elle n’a même plus de rêves pour oublier sa souffrance pendant la nuit. Il ne lui reste rien. Pas la vie et Elle n’a pas la mort. Le néant l’entoure. Pire que la mort car Elle en est consciente.

Le soleil réchauffe les joues d’Elle. Le sang qui a coulé de sa blessure macule son visage. Elle se lève, sort et plonge son corps frêle dans une crique pure et fraîche entourée de fleurs sauvages et d’arbres tropicaux. Elle ne lave pas son visage. C’est une blessure de guerre. Une guerre contre la vie. C’est un souvenir. Il est si proche qu’Elle s’en souvient encore. Dans quelques jours, il sera oublié. Autant profiter de cet instant. Elle ressort, se laisse sécher sous les rayons bienfaiteurs et s’abandonne.
Soudain, un bruit de moteur rompt le silence apaisant. Elle se précipite sur la plage et voit un bateau accoster. Ses parents débarquent sur le sable et se dirigent vers Elle. L’air dégoûtés. Elle a un aspect pitoyable.

Elle :

Ma mère me regarde et éclate en sanglots. Mon père s’approche, crie qu’il a une fille folle, malade. Comme si je ne le savais pas. Il me gifle. Mon apparence ne leur plaît pas. Moi non plus, je ne leur aie jamais plu. Mon père m’empoigne par le bras et me traîne sur le sable blanc. Où veut-il m’emmener ? J’ai peur. Mais je n’ai pas la force de me révolter. Je ne veux pas partir. Ici au moins, la plénitude et la sérénité arrivent de temps en temps à me calmer et à diminuer mes souffrances. Je veux rester ici. Je ne veux pas quitter cet endroit. « Laissez-moi. » Mon père sert mon bras de plus en plus fort. Il me fait mal. Non pas physiquement, j’ai déjà tellement souffert que des blessures ne m’atteignent plus. Il me fait mal mentalement. Je crains l’endroit où ils vont me conduire. Pourquoi veulent-ils toujours modifier ma vie ? Je suis bien mieux ici qu’avec eux en ville. Dans cette société où tout le monde me montre du doigt et s’écarte de moi comme si j’étais une pestiférée. Je ne veux pas retourner parmi ces hypocrites, ces médecins menteurs, ces faux amis qui s’amusent à vous plaindre. Par compassion… Je ne veux pas de leurs médicaments qui pourraient peut-être un jour avoir la grâce de me soigner. Rien ne pourra me soigner. Je suis condamnée. Condamnée. Condamnée. Ce n’est pas deux pilules qui changeront quoi que ce soit. J’aime cet endroit. La saveur du soleil, le repos de la mer. Je ne veux pas quitter mes mouettes et mon île. Ma vie se résume à cela. Voilà qu’On me les arrache, qu'On vient, qu'On reste.
Je suis balancée dans le bateau sans ménagement. On démarre. Mon île s’éloigne. Ma vie aussi. Je la ressens encore moins en moi. Le bateau tangue, danse, virevolte, brimbale. Je suis épuisée, fatiguée, exténuée. Je n'en peux plus. Je m’endors.

Elle s’éveille dans une chambre entièrement blanche. Des murs au sol en passant par le mobilier, tout est d’une blancheur immaculée. Il n’y a pas de fenêtre. Enfin si, mais elle est cloîtrée. Le soleil ne pénètre pas ici. La vie va s’arrêter. Elle ouvre des yeux effarés. Où est-Elle ? Que fait-Elle ici ? Elle ne veut pas. Elle veut s’en aller. Partir.

Elle :

« Non. Non. Non. ». Je hurle à en avoir la gorge en feu. « Laissez-moi quitter cet endroit. Je ne supporte pas ici. C’est moche. C’est uni. C’est froid. C’est… blanc. C’est une prison. ». Je suis prisonnière de la maladie. Maintenant, je le suis dans un hôpital. J’ai compris que c’était un hôpital. Ou un asile. Je suis malade, donc folle pour mes parents. Cet endroit me stresse. Cette blancheur impeccable, parfaite me fait froid dans le dos. Je frisonne. J’ai la gorge nouée et l’estomac retourné. Je vomis. Toutes mes tripes y passent. L’odeur, mélangée à celle de l’hôpital et ses médicaments, les maladies et ses souffrances, la mort, me fait chavirer. Je me retiens au mur. Je m’appuie. Je m’affaisse. Je ferme les yeux et je repense à mon île, à ma grotte où tout est noir. Le blanc de cette pièce m’éblouit plus que les rayons du soleil. Il se faufile sous mes paupières et y brûle mes rétines. Je reste là. Inerte. Pendant une semaine, deux, un mois, un an. Je n’ai plus aucune conception du temps. Ici, il fuit. Là-bas, il demeurait. Il fait toujours clair dans cette chambre. Le temps ne s’écoule plus. Elle ne sait pas depuis combien de temps elle est ici. Même la douleur s’estompe…
Personne ne vient. Personne ne me dérange et c’est très bien. Je ne veux voir personne. Ce sont tous des traîtres. Des menteurs. Tous des monstres. C’est de l’injustice. Pourquoi je souffre ? Pourquoi moi ? Qu’ais-je fait pour mériter cela ? Rien. Je ne comprends pas. Je ne veux pas comprendre. Cela ne changerait strictement rien. C’est mon destin. La souffrance.

Elle se lève. Elle marche de long en large dans sa cellule. Plusieurs fois, Elle a essayé d’ouvrir la fenêtre. De voir la lumière naturelle et non celle du néon qui la nargue loin au-dessus d’elle. Rien à faire. Cette fenêtre est condamnée. Tout comme Elle. Condamnée à rester dans cette cellule. Condamnée à mourir. Mais Elle en a marre d’attendre cette mort qui ne vient pas.
Elle se roule en boule dans un coin de sa chambre. Elle gratte le mur froid et blanc de ses ongles. Râpant le bout de ses doigts. Laissant des traînées de sang. Elle empoigne sa tête, et en plein désarroi, Elle la cogne contre le mur. Elle court d’un côté à l’autre et se frappe toujours la tête contre le mur. Elle ne supporte pas l’enferment. Emprisonnée dans ses souffrances. Dans sa tête et physiquement où qu'elle aille, où qu'elle soit. Enfermée. Déboussolée, Elle se jette sur le lit avec une telle violence que celui-ci s’écroule. Assommée, sonnée, épuisée, Elle se ramasse sur elle-même et se laisse aller à son désespoir.

Elle :

Je ne vois plus les vagues. Je ne sens plus le vent. Je ne vois plus les oiseaux. Je ne sens plus le soleil. Je ne vis plus. La douleur elle-même m’abandonne. Je reste seule. J’ai de moins en moins envie de vivre. Il n’y a ni bruit, ni couleur. Le blanc n’est pas une couleur. Et le silence de cette cellule est insoutenable. Ce n’est pas mon silence des vagues, des mouettes. C’est le silence de la maladie.
Pas de mouvement. Pas de vie. Pas d’espérance. Pas de raison. Pas de lien. Pas d’attaches. Je me lève et mon regard s’abaisse vers le lit cassé que je viens de déserter. Une barre en fer. Là, sous mes yeux. Grise. Grise sur blanc. Vie sur mort. Je l’examine. Là où la barre s’est cassée nette, un bout tranchant se dresse vers le ciel. Vers la libération. Je brandis la barre et tranche les veines de mon poignet droit, puis du gauche. Je n’ai pas très bien coupé. Le sang coule plus fort à gauche qu’à droite. Quelle sensation. Je sens la vie, là si proche, si réelle, mais je... Je la sens … m’échapper. Je ne sais plus où je suis. Ma tête tourne, ma vue se brouille, un voile tombe sur mes paupières. Des images passent et repassent dans ma tête. Des souvenirs d'antan, des rêves oubliés, des images de vie passent devant mes yeux grands ouverts. C’est maintenant que la vie s’échappe, m’échappe que je voudrais la conserver. Laisse-la-moi. A l’aide, quelqu’un. Je vous en prie. Sauvez-moi. Aidez-moi. Ne me la prends pas. La mort, amie si proche, si enviable. Que tu me sembles horrible maintenant. Tellement cruelle. Je ne te désire plus, je veux que tu partes loin, très loin. Tu deviens mon ennemie. Je ne veux pas. Je veux garder ma vie et mes souffrances. Je préfère la sensation de douleur à celle de la vie qui fuit. Ne pas la perdre. Ne pas la perdre. Je tombe assise.

Elle crie mais personne ne vient, personne ne viendra plus jamais ; elle hurle : « Ne pas la perdre ». Elle se lève, titube, rassemble ses dernières forces. Avance. Avance Elle, courage. Elle se saisit d’un feutre posé sur la table. Dernier cadeau de ses parents. Des feutres et des feuilles pour dessiner comme les petits-enfants après une opération. Des dessins peuvent-ils faire oublier la maladie ? Elle ne le croit pas. Distraire, occuper, oui. Et encore…Elle ouvre le feutre et, suivant de grands mouvements de bras, elle tapisse le mur d’une seule et même phrase : Ne pas la perdre. Les mouvements de bras qu’Elle exécute projettent des tâches de sang sur le mur. Sang sur mur. Sang sur son visage. Sang sur son corps. Rouge sur blanc. Sang maculant. Sang sur maladie. Rouge sur vie. Comme une démente, Elle écrit sur les autres murs la même phrase : Ne pas la perdre, Ne pas la perdre, Ne pas la perdre. Toujours la même phrase. Le sang coule de ses poignets. Toujours, encore. Encore, toujours. Tâchant le blanc. Elle écrit. Toujours tâchant la vie. Elle écrit. Elle écrit toujours. Elle écrit encore. Son «perdre » reste en suspend. Elle tombe presque gracieusement. Elle ne bouge plus. Elle n’est plus. Elle a rejoint ses rêves oubliés. Enfin après près de six ans, un sourire se dessine sur son visage. Ses yeux se ferment une dernière fois…

Emie Duvy
octobre 2004

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5.2.07

Rotten

Tes cendriers débordent
Comme tes orifices
D’où coulent foutre, poudre et vices
Tes nuits sont lourdes et puantes de sexe
Ton lit où se répandent tant de garçons et de filles
Que sans répit, tu brises
Et laisse comme autant de plaies suppurantes
Tu baises, pilles et suces comme un vampire dégénéré
Tu prends, tu jettes, mais jamais ne peut aimer
Rien de moins qu’une pute bon marché
Ne m’approche pas !
Créature malade et détraquée…
Derrière le miroir sans tain de ton apparence
Se dessinent de bien vilaines déviances
Non, il n’est pas de rédemption pour les etres de ton espèce
Et quand on contemple ton reflet
Il est pareil au portrait de Dorian Grey
Vil, lache et sans substance
Quelle ame sale que la tienne
Vraiment, tu n’as aucune décence
Si maman avait su quand elle venait te border le soir
Quel etre monstrueux grandissait dans le noir
Ne me touche pas !
Chaque onde de plaisir serait salie de ta traitrise
N’attend pas de moi que je mouille
Non, je ne me donnerai pas
Je ne viendrai que pour vomir sur ta dépouille
Et bruler ce qu’il en restera…

Rotten

Dahlia

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La Promesse

Je ne sais pas ce qui me pousse à écrire. Je ne sais pas ce qui me pousse à endosser ce rôle, cette imposture. Ecrire est un sale boulot, un boulot de solitude, de démence. On se retrouve assis à sa table à cracher une répugnante bouillie d'égo suintant et de besoin maladif de reconnaissance. On écrit quand on ne peut s'exprimer autrement.

Les personnages de romans sont bien souvent plus intéressants que les personnes réelles. Ils s'offrent à vous sans demander leur reste.
Mettre son temps à profit, utiliser du mieux possible le temps qui vous est imparti. Avec le vague pressentiment de la mort qui rôde et qui gagne chaque jour un peu plus de terrain si l'on y prend pas garde. Ne pas se laisser réduire au silence, trouver son moyen de rire, de pleurer, de hurler, de murmurer, etc.

Chaque nouvelle que je termine me fait l'impression d'être la dernière. Je me demande comment je vais bien pouvoir faire pour pondre encore dix petites pages qui se tiennent. Ce n'est pourtant pas un problème d'idées, les idées affluent par wagons entiers, mais lorsqu'il s'agit de se foutre le cul sur sa chaise alors tout se mélange, tout devient flou. La plupart du temps j'abandonne avant même d'avoir essayé.

Je n'attends plus des autres qu'ils me fassent du bien, je tire les dernières barres et je fixe le plafond pendant un long moment, il y a mille choses que je voudrais faire mais je reste cloué sur mon lit, incapable de bouger.
Les nuits passées à attendre que l'aube charrie son lot de prommesses, les cicatrices imprimées en filigrane sur le papier en guise de testament, en avant pour une autre danse avec le démon...

Matthieu

La différence entre faire l’amour et baiser

Comment ne pas se souvenir de ce jour où tu as regardé ma dépouille se faire anéantir par un chien issue d’une meute de bâtards originaire d’Afrique du Sud. L’air était fébrile des tracas de Septembre. Le sentir. Et puis le vivre. J’étais toute bronzée de cette couleur qui inonde les cahiers des vilains garçons. Tu me tenais par la main. Quelque part,les lumières d’une fête foraine. Je n’ai pas goûte aux bruits imaginaires des enfants pourris de cette pomme d’amour inerte et de cette barbe à papa incestueuse qui dévore les museaux des innocents. Un cri. Près. Trop. Sale négresse. Qu’elle est cette phrase ? Ma main s’est donnée plus lourde à ton bras. Sauve-moi ! J’ai entendu quelqu’un sifflé comme si la brise marine était éternellement douce et vaporeuse. Ce quelqu’un était toi. Mes yeux cherchaient la pointe d’une étoile et ne trouvèrent qu’un regard fuyant. Le cri continuait. Sale négresse qui baise avec un blanc. J’étais assommée de honte. Comment pouvait-il employer ce mot de baise à l’égard du premier amour de ma vie ? J’essayais de rentrer les fesses. Peut-être suis-je morte ce soir-là . Nous sommes rentrés. Nous étions au lit. Un grand trou noir.

Sandrine-Léonard

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