Etre né pour les bars.
Je suis né pour les bars.
J'essaie d'y remédier, croyez-moi. Sincèrement.Mais je suis né pour les bars. La preuve, j'en ai déjà expérimenté toutes les postures, tous les horaires, tous les métiers, et chacun d'entre eux m'a plu, presque sans condition.
Barman ivre, j'ai fait - quand tu regardes les gens dans les yeux, que tu veux être gentil avec eux, mais quand la caisse fait "dring-dring" et ton patron fait "dong-dong" et le taxi qui t'attendra à la fin de la soirée (si tu chiffres bien en pourboires) s'acharne à faire "faut-voir-faut-voir".
Barman sobre, j'ai fait - quand tu t'étonnes en t'abreuvant du spectacle des gens ivres, tandis que tout ce qui te permet de ne pas penser "bande de cons", c'est qu'à toi tout seul tu as déjà été une fameuse bande de cons trois jours auparavant. Donc tu offres. Plus que le précédent, en fait. Les bouteilles s'alignent comme des connes, et le tube de néon rouge, planqué juste derrière, ne te fait plus autant d'effet que quand tu vacilles de l'autre côté du miroir de zinc. Mais tu es là et les bouteilles aussi ; ce qui constitue quand même une bonne base pour s'entendre - d'autant plus que tu les prostitues un peu, après tout. Le souteneur de la picole. Le Saint-Jonas du Kahlua. C'est toi.
Serveur fatigué, j'ai fait - quand ton corps t'hallucine des trésors qu'il révèle quand tu le fais enfin bosser un peu, mais quand ton foie, aussi, t'hallucine de ce qu'il peut continuer à absorber quand il est déjà mort depuis longtemps.
Serveur sobre, j'ai fait - quand tu débarasses une table vide pour vérifier si des numéros de portables ont été griffonnés à l'arrière des sous-bocks et que, parfois, ben oui, ils ont été griffonnés à l'arrière, ces cons de numéros - que tu n'appelleras jamais, parce qu'il te semble plus prudent de collectionner les petites vanités plutôt que de te coltiner des tas d'emmerdes. Parce que.
Parce que client sympa, entouré d'amis et ivre, j'ai fait aussi - quand le monde se résume à peu près à ce qui est à portée immédiate de tes yeux, quand tu sens que tout ce qui se présente à toi est une création maladive de ton cerveau, et quand tu sais que tu n'es rien d'autre qu'une petite crotte qui prend ses fantasmes pour des réalités.
Client sympa et seul, j'ai fait encore - quand tu es incroyablement présent avec le barman et séducteur avec les gens qui t'entourent et tellement mortel, en somme, que tout le monde s'étonne que tu sois seul... et par conséquent, se taille tracer sa route sans demander son reste. Ce type est trop inquiétant pour être honnête, sans doute. Sans doute oui, donc, d'autant plus que...D'autant plus que client pas sympa et entouré, j'ai également essayé - quand tout le monde te déteste mais que tu t'en branles parce que tu te sens fort. Ensuite, souvent, tu sens que tu es un peu de droite quand même, alors tu vas vomir, et la cuvette des toilettes te semble être le meilleur avenir que tu puisses espérer en ce bas-monde.
Client chiant et seul, je me suis baladé aussi sur ces boulevards là - quand tu es déjà mort depuis longtemps, mais que tu ne sursautes encore frénétiquement dans ta verdeur moisie que parce que tu espères que tout le monde le saura, l'entendra, l'intègrera et ne le comprendra pas. Tu oscilles du rond et tu ne parles à personne : ton objectif n'est ni de t'amuser avec tes amis, ni de draguer, ni de t'entendre bien avec qui que ce soit, mais de te vider de tout sur les pieds du premier branleur qui passera - pourvu que tu puisses te répandre sur ses chaussures et qu'il les ait rutilantes. Ah tiens, d'ailleurs, les tiennes sont rutilantes et propres, comme par hasard. Et vlan, tu te mets à l'ouvrage.
Etre désincarné, j'ai essayé une fois - quand tu te remplis jusqu'à ta propre indignation, que tu te gonfles des horreurs maltées du monde, dans le seul espoir de tomber, d'écraser tes genoux au sol carreleux, une bonne fois pour toutes, en attendant patiemment (ça ne traîne jamais trop) que le monde entier présent dans ce bar (qui n'est autre qu'un création de ton cerveau - ne l'oublie pas) détourne le regard avec gêne.
L'être masochiste, j'ai surfé deux trois fois avec lui, et donc avec moi - quand tu attends un peu, avant de sortir, parce que tu gardes une dignité quand même, - attention, tu es un con au fond -, et puis que tu te lâches, que tu te sors quand même, et que si ton pied droit peine farouchement à rejoindre ton pied gauche, si ta tête en lambeaux peine à accompagner le mouvement global, tu sais intimement que tu as tout gagné, parce que tu es tout ridicule.
L'être seul et malade, loin d'un quelconque lieu de sociabilité, j'ai traîné avec lui, aussi, et un paquet de temps en plus - quand tu rentres chez toi, et que tu te pisses dessus, le pantalon baissé, les fesses congelées contre la froideur du sol et le dos trempé, englué dans la faiblesse de ta puissance, de tes propres sécrétions tellement communes, aussi, que la chaleur de ta pisse sur ton ventre te dit "c'est chaud" et que ta pisse sur ton ventre te dit "tu es une merde " et que ton ventre te dit "pourquoi tu me fais ça, connard ?" et que toi, tu ne te dis plus à toi, connard, rien d'autre que : " tu le mérites, minable, c'est même presque un cadeau que tu te fais."
Quand je vous dis que je suis né pour les bars... finalement.
Vous pouvez me croire.
F. W. Jonas
Pour contacter F.W. Jonas ou un autre auteur de la revue : revuenoiretblanc@hotmail.com ou laissez un commentaire .
J'essaie d'y remédier, croyez-moi. Sincèrement.Mais je suis né pour les bars. La preuve, j'en ai déjà expérimenté toutes les postures, tous les horaires, tous les métiers, et chacun d'entre eux m'a plu, presque sans condition.
Barman ivre, j'ai fait - quand tu regardes les gens dans les yeux, que tu veux être gentil avec eux, mais quand la caisse fait "dring-dring" et ton patron fait "dong-dong" et le taxi qui t'attendra à la fin de la soirée (si tu chiffres bien en pourboires) s'acharne à faire "faut-voir-faut-voir".
Barman sobre, j'ai fait - quand tu t'étonnes en t'abreuvant du spectacle des gens ivres, tandis que tout ce qui te permet de ne pas penser "bande de cons", c'est qu'à toi tout seul tu as déjà été une fameuse bande de cons trois jours auparavant. Donc tu offres. Plus que le précédent, en fait. Les bouteilles s'alignent comme des connes, et le tube de néon rouge, planqué juste derrière, ne te fait plus autant d'effet que quand tu vacilles de l'autre côté du miroir de zinc. Mais tu es là et les bouteilles aussi ; ce qui constitue quand même une bonne base pour s'entendre - d'autant plus que tu les prostitues un peu, après tout. Le souteneur de la picole. Le Saint-Jonas du Kahlua. C'est toi.
Serveur fatigué, j'ai fait - quand ton corps t'hallucine des trésors qu'il révèle quand tu le fais enfin bosser un peu, mais quand ton foie, aussi, t'hallucine de ce qu'il peut continuer à absorber quand il est déjà mort depuis longtemps.
Serveur sobre, j'ai fait - quand tu débarasses une table vide pour vérifier si des numéros de portables ont été griffonnés à l'arrière des sous-bocks et que, parfois, ben oui, ils ont été griffonnés à l'arrière, ces cons de numéros - que tu n'appelleras jamais, parce qu'il te semble plus prudent de collectionner les petites vanités plutôt que de te coltiner des tas d'emmerdes. Parce que.
Parce que client sympa, entouré d'amis et ivre, j'ai fait aussi - quand le monde se résume à peu près à ce qui est à portée immédiate de tes yeux, quand tu sens que tout ce qui se présente à toi est une création maladive de ton cerveau, et quand tu sais que tu n'es rien d'autre qu'une petite crotte qui prend ses fantasmes pour des réalités.
Client sympa et seul, j'ai fait encore - quand tu es incroyablement présent avec le barman et séducteur avec les gens qui t'entourent et tellement mortel, en somme, que tout le monde s'étonne que tu sois seul... et par conséquent, se taille tracer sa route sans demander son reste. Ce type est trop inquiétant pour être honnête, sans doute. Sans doute oui, donc, d'autant plus que...D'autant plus que client pas sympa et entouré, j'ai également essayé - quand tout le monde te déteste mais que tu t'en branles parce que tu te sens fort. Ensuite, souvent, tu sens que tu es un peu de droite quand même, alors tu vas vomir, et la cuvette des toilettes te semble être le meilleur avenir que tu puisses espérer en ce bas-monde.
Client chiant et seul, je me suis baladé aussi sur ces boulevards là - quand tu es déjà mort depuis longtemps, mais que tu ne sursautes encore frénétiquement dans ta verdeur moisie que parce que tu espères que tout le monde le saura, l'entendra, l'intègrera et ne le comprendra pas. Tu oscilles du rond et tu ne parles à personne : ton objectif n'est ni de t'amuser avec tes amis, ni de draguer, ni de t'entendre bien avec qui que ce soit, mais de te vider de tout sur les pieds du premier branleur qui passera - pourvu que tu puisses te répandre sur ses chaussures et qu'il les ait rutilantes. Ah tiens, d'ailleurs, les tiennes sont rutilantes et propres, comme par hasard. Et vlan, tu te mets à l'ouvrage.
Etre désincarné, j'ai essayé une fois - quand tu te remplis jusqu'à ta propre indignation, que tu te gonfles des horreurs maltées du monde, dans le seul espoir de tomber, d'écraser tes genoux au sol carreleux, une bonne fois pour toutes, en attendant patiemment (ça ne traîne jamais trop) que le monde entier présent dans ce bar (qui n'est autre qu'un création de ton cerveau - ne l'oublie pas) détourne le regard avec gêne.
L'être masochiste, j'ai surfé deux trois fois avec lui, et donc avec moi - quand tu attends un peu, avant de sortir, parce que tu gardes une dignité quand même, - attention, tu es un con au fond -, et puis que tu te lâches, que tu te sors quand même, et que si ton pied droit peine farouchement à rejoindre ton pied gauche, si ta tête en lambeaux peine à accompagner le mouvement global, tu sais intimement que tu as tout gagné, parce que tu es tout ridicule.
L'être seul et malade, loin d'un quelconque lieu de sociabilité, j'ai traîné avec lui, aussi, et un paquet de temps en plus - quand tu rentres chez toi, et que tu te pisses dessus, le pantalon baissé, les fesses congelées contre la froideur du sol et le dos trempé, englué dans la faiblesse de ta puissance, de tes propres sécrétions tellement communes, aussi, que la chaleur de ta pisse sur ton ventre te dit "c'est chaud" et que ta pisse sur ton ventre te dit "tu es une merde " et que ton ventre te dit "pourquoi tu me fais ça, connard ?" et que toi, tu ne te dis plus à toi, connard, rien d'autre que : " tu le mérites, minable, c'est même presque un cadeau que tu te fais."
Quand je vous dis que je suis né pour les bars... finalement.
Vous pouvez me croire.
F. W. Jonas
Pour contacter F.W. Jonas ou un autre auteur de la revue : revuenoiretblanc@hotmail.com ou laissez un commentaire .
6 Comments:
Héhéhéhé, c'est bien sympa ta façon d'écrire. Et tu retranscris assez bien les "métiers" du bar.
Bref, du bon. J'aime.
Ça donne envie de boire, de traîner dans ces bars... Bref, j'adore...
L'ivresse, les bars, la décadence, il y a eu aussi la phase de jubilement, se complaire dans la merde, jusqu'à en gerber, jusqu'à en pleurer.
Je regrette juste que les bars qui sont tels des lumières dans notre société déshumanisées souffrent tant du cancer social et ainsi soient presque toujours associés à des trucs si mauches.
J'espère qu'un jour ils regagnent leurs lettres d'or, que le peuple l'emporte sur le mal qui le ronge.
Merci à vous, Toni, A.D.
Anonyme, tu as parfaitement raison sur le fond, la complaisance vénéneuse et tout ça - je ne saurais pas dire le contraire. Je souhaite aussi un meilleur avenir pour le bar en tant que lieu de sociabilité, voire de résistance pourquoi pas.
Mais il faut aussi le prendre pour ce qu'il est, en ce moment, et quand même très clairement : un lieu au sein duquel se côtoient des âmes dillettante, d'un côté, et des âmes laminées de l'autre - et qui ne se croisent presque jamais, sauf quand certains de leurs membres respectives en deviennent des transfurges.
Un grand coucou à Sieur F.W., à qui j'adresse un très grand bravo pour cet univers si bien retranscrit!!! ça sent le vécu!
Bises d'Ysa, Margot et moi-même.
Yo, Ysa, Margot, je vous embrasse en retour. Mais non, contrairement à ce que pense Yo, je n'ai JAMAIS vécu cette ambiance.
...
Bien entendu.
...
Pas vrai ? Alleeeeez !
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